Quel sujet remarquable que celui choisi pour ce livre !
Nous parler d’un aérodrome doublement oublié…
Il retrace la vie chaotique de la plateforme de Viry, avec des années très intenses en 1909 et 1910 puis une lente mort du cygne avec quelques soubresauts interrompant cette agonie au milieu des années trente puis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Mais si le sujet sort des sentiers battus, c’est qu’il s’agit des premiers vols réalisés « pour » la Suisse, mais sur le territoire français tout proche. Viry se situe en effet en Haute-Savoie, mais dans le bassin d’influence de Genève, au pied du Mont Salève.
Et c’est ce qui en a fait doublement oublier l’histoire, par les Français d’une part, car anecdotique dans une aviation naissante mais toutefois bien plus développée sur des aérodromes passés à la postérité en accueillant à la même époque de plus grandes vedettes, et par les Suisses d’autre part (ou au moins certains d’entre eux) car entachée d’une inaltérable infamie, ne s’être pas déroulée sur leur territoire national. L’auteur a donc eu deux fois plus de mérite de nous la faire revivre.
Du fait de cette spécificité, le premier chapitre qui nous brosse un tableau de la situation historique et géopolitique locale apparaît très important pour comprendre ce qui a donné naissance à cet être hybride à deux têtes. Cette façon de planter le décor est assez courante dans nombre d’ouvrage d’histoire aéronautique régionale, voire locale, mais dans le cas de Viry et de sa spécificité binationale cela s’avère vraiment indispensable. Nous connaissons désormais, comme le souligne l’ouvrage, les structures, les acteurs de l’histoire et les moyens d’action qui seront à leur disposition.
La suite se présente sous forme de chapitres ordonnés classiquement selon la chronologie des grands évènements.
À l’intérieur de chaque chapitre, nous trouvons trois sortes de matériel. La partie rédactionnelle est assez limitée, s’effaçant devant une part importante laissée à une revue de presse d’époque ou des extraits d’ouvrages et d’articles bien postérieurs. Enfin, l’auteur nous offre, mises en exergue par leur présentation sur un fond sombre, des biographies de la plupart des protagonistes de l’histoire.
Attardons-nous tout d’abord sur ces biographies illustrées : C’est un plaisir de les lire, et on sent la patte d’un Jean-Claude Cailliez habitué à nous les proposer sur son site Pionnair-ge.
Par contre, si l’on revient sur le reste du texte, un petit regret concernerait cette façon de disposer les choses : la partie rédactionnelle se présente sous la forme de paragraphes introductifs et de commentaires, en nota bene ou non, de tout le reste du livre, c’est-à-dire principalement de suites d’extraits de la presse locale. Cela présente tout d’abord un petit problème de lisibilité de l’ensemble, pour bien distinguer parfois ce qui relève de la citation et ce qui n’en est pas. Et, par ailleurs, cette forme de revue de presse est un peu lourde à digérer pour le lecteur, entre les références aux sources systématiquement, mais légitimement, indiquées, qui coupent l’élan de lecture, et les inévitables répétitions quand on présente à la queue leu leu les comptes-rendus d’un événement vus par divers journaux ou magazines.
L’impression ressentie est d’être non plus le lecteur du livre mais un chercheur attablé dans un service départemental d’archives et consultant jour après jour des montagnes de matière première avant de pouvoir en retirer la substantifique moelle…
C’est donc à la fois enrichissant et déroutant, et l’on se dit que tout en ayant plaisir à avoir accès à ces données brutes on aurait préféré pouvoir le faire sous forme d’annexes à un récit qui, du coup, aurait pu être plus synthétique.
À noter quelques erreurs en fin d’ouvrage, que ce soit l’identification du planeur de la page 149 ou dans la biographie de Marcelle Choisnet. Mais rien de bien grave.
Enfin l’iconographie, quant à elle, est riche et variée. La plupart des photos et des cartes postales représentées sont en noir & blanc, et l’on trouve en complément couleur quelques illustrations et reproductions d’affiches d’époque.
C’est donc une lecture qui demande une attention soutenue, mais qui vous le rendra au centuple par la richesse des recherches qui vous sont présentées.
Et finalement, c’est peut-être normal pour un ouvrage nous présentant une aventure bi-nationale.
Nous avons un peu comme un mélange de précision suisse et de désordre un peu plus français !
Jean-Noël Violette
172 pages, 115 illustrations, index mentionnant 300 noms
Avant-propos de Jacques Rosay, vice-président et chef pilote d’essais d’Airbus.