Dans les années 80, nous achetions systématiquement le bimensuel « Aviation Magazine International » et si notre passion allait essentiellement à l’aviation militaire, cette revue nous paraissait incontournable quel que soit le domaine (militaire, aviation de ligne, aviation légère, histoire). Ainsi, nous n’attendions pas un long mois mais quinze jours seulement pour assouvir notre passion et notre curiosité avec ce bimestriel dont la qualité, la richesse des articles s’alliaient à un ton qui, nous nous en souvenons très bien, n’était pas cocardier à outrance mais au contraire envisageait les contradictions et parfois créait les polémiques (ainsi, de mémoire, l’idée avancée de l’achat éventuel ou de la location de F-18 américains pour la Marine Nationale qui, comme Godot, attendait le Rafale). C’était « touffu », c’était « goûtu » et, à l’instar d’une chaîne de télévision franco-allemande dédiée à la culture, nous avions véritablement l’impression de toujours apprendre quelque chose en parcourant aussi les sujets qui nous intéressaient pas ou peu, de mieux ressentir la vie du monde de l’aviation, d’être « aux premières loges à distance ». Et nous nous souvenons aussi de quelques-unes des signatures de cette revue hélas disparue en 1992 : Michel Marrand, Roger Demeulle, Bernard Bombeau, Daniel Liron et… Pierre Sparaco !
S’il ne se vouait au départ pas à la spécificité du journalisme aéronautique, Pierre Sparaco est devenu depuis 1957 un vrai passionné et un témoin majeur. Et au-delà des qualités supposées ou réelles des avions évoqués, c’est bien la rivalité économique entre les constructeurs français et européens, face aux géants nord-américains, qui constitue le filigrane de son livre, au travers de récits concernant aussi bien les programmes d’aviation civile que militaire, depuis les années 1960 : « la bataille homérique qui opposa, en 1967-68, Northrop et Dassault, candidats à la succession du F-84F. Tous les ingrédients du futur marché du siècle de 1974-75 étaient déjà réunis, avec des arguments qui volaient plutôt haut, de part et d’autre », le bouleversement induit par le Boeing 747 dans le transport aérien de masse, suivi de l’Airline Deregulation Act de 1978 et les débuts de la « mondialisation » du transport aérien, le marché du siècle et le succès du F-16 (p.92 « Tout n’a pas été encore dit sur le marché du siècle et il est douteux que certains dossiers finissent par sortir de l’ombre, même après 40 ans »), Concorde, la saga de la famille Airbus, le Rafale, l’ATR-42 et d’autres encore. L’espace n’est pas oublié, ni même les polémiques chez les navigants et les syndicats avec l’introduction croissante de l’électronique dans les cockpits et la réduction des équipages. Pierre Sparaco étant sinon le, du moins l’un des, plus anglo-saxons des journalistes français de l’aviation, ayant entre autres titres œuvré pour le célèbre et incontournable magazine Aviation Week, ne propose pas une vision franco-française, réductrice et cocardière des événements, mais éclaire les sujets évoqués tel un enquêteur, à charge et à décharge en quelque sorte. Travail délicat s’il en est toujours : « Le lectorat professionnel, et lui seul, permet par ailleurs à une publication spécialisée de revendiquer le titre de bon support de publicité, apport financier indispensable à sa bonne marche. Et, dès qu’il est question de cet aspect du modèle économique, on retrouve son caractère équivoque : comment « couvrir » l’actualité en toute indépendance, avec un aspect critique, sans risquer de gêner les annonceurs ? La preuve est faite que c’est possible dans le monde anglo-saxon, mais sans éviter pour autant des incidents de frontière plus ou moins fréquents, parfois sérieux, tandis que c’est mission impossible en France. » Et alors que récemment la polémique faisait rage dans les médias sur l’intérêt qu’il y aurait d’améliorer l’apprentissage de la langue anglaise dans les écoles françaises, le chapitre intitulé « Le français, l’anglais et le franglais » ne manque pas de rappeler que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement et que les Gaulois, s’ils cèdent massivement à la tentation des anglicismes faciles, semblent toujours éprouver quelque peine à s’adapter à un monde où la maîtrise des langues étrangères est un atout maître pour la communication et la négociation…
Le journalisme alimente au fur et à mesure l’histoire et il fait peu de doute que Pierre Sparaco serait en mesure de nous gratifier d’ouvrages aussi incontournables que ceux de Jacques Noetinger, auquel il n’oublie pas de rendre hommage, ainsi qu’à de nombreuses autres personnes citées tout au long de l’ouvrage au détour d’un fait ou d’une anecdote. Ami aérolecteur vous l’aurez compris, 50 ans de journalisme aéronautique de Pierre Sparaco est l’occasion d’un brin de nostalgie pour les cinquantenaires (ou plus) d’aujourd’hui, mais c’est aussi un témoignage incontournable d’une grande figure du journalisme aéronautique international, qui mériterait d’être très largement développé, augmenté et illustré. Allez, Monsieur Sparaco, vous avez certainement encore beaucoup d’autres choses à nous raconter…
Georges-Didier Rohrbacher
288 pages, 15 x 24 cm, broché