Tombés du ciel

Les aviateurs abattus au-dessus du Nord – Pas-de-Calais
Collectif

La recherche des avions et des équipages abattus durant la Seconde Guerre mondiale, l’archéologie des accidents d’avions fait régulièrement l’objet d’articles locaux dans la presse régionale au fur et à mesure des découvertes. De même peut-on apprécier des ouvrages ponctuels qui relatent la destinée d’un ou de quelques équipages en particulier. Mais avec Tombés du ciel, c’est à un véritable guide méthodologique et déontologique d’archéologie aérienne auquel on pourra se référer dorénavant, grâce au Centre d’Histoire et de Mémoire du Nord-Pas-de-Calais La Coupole (Saint-Omer).

Car il s’agit en effet bel et bien d’un travail scientifique, qui trouve son origine dans l’exposition présentée à La Coupole en 2007 en partenariat étroit avec l’association Antiq’Air Flandre-Artois : une quarantaine de pages est ainsi consacrée au catalogue de l’exposition, dix histoires d’aviateurs de toutes nationalités abattus entre 1940 et 1944. Et déjà nous apprécions la sobriété, le professionnalisme dans la présentation des faits, dans le recoupement des témoignages, des clichés d’époque, des documents d’archives. Les photographies des vestiges retrouvés participent également à une « charge affective » inévitable lorsqu’on songe à la destinée de ces jeunes hommes lancés dans la guerre : un moteur enfoui sous six mètres de terre laissant imaginer la violence de l’impact, des papiers personnels retrouvés, des effets vestimentaires, etc. Mais cette archéologie spécifique soulève concrètement de nombreuses problématiques : la fiabilité des témoignages (des aviateurs ou des témoins de leur chute), des archives officielles ou autres, le rôle des particuliers ou des associations qui mènent ces recherches, le cadre légal de ces interventions, le statut et le devenir des reliques, etc. Les 140 pages suivantes nous apportent cet éclairage synthétique et scientifique, sous la forme des actes du colloque qui s’est déroulé en parallèle à l’exposition.

Et l’on apprécie d’y trouver d’emblée les présentations de leurs archives respectives par Sebastian Cox (directeur de l’Air Historical Branch, le Service historique de la Royal Air Force) et Agnès Chablat-Beylot (Conservateur en chef du Patrimoine, chef du département de l’armée de l’Air au Service historique de la Défense), signe indéniable de l’intérêt des autorités. Mais la « vérité » ne se trouve pas gravée dans le marbre d’un Journal de Marches et Opérations (JMO) français ou Operations Records Book (ORB) britannique, et Jocelyn Leclercq (président de l’Association Antiq’Air Flandre-Artois) de nous présenter en détails les nombreuses sources (primaires et secondaires, françaises, britanniques mais aussi américaines ou allemandes) utilisées spécifiquement pour la recherche et l’histoire de ces appareils abattus. Des statistiques sur les pertes aériennes alliées entre le 10 mai 1940 et le 5 septembre 1944 ont été établies pour la première fois pour une région entière, tandis que Hugues Chevalier (professeur d’histoire et membre de Antiq’Air) explique sans ambiguïté que les témoignages oraux (des aviateurs eux-mêmes ou des témoins des faits) ne peuvent pas plus être considérés comme des « valeurs absolues » et qu’ils doivent être eux aussi largement vérifiés, recoupés, corrélés par les autres sources et les recherches sur le terrain.

L’historien René Lesage nous rappelle que parmi les acteurs de cette époque tragique, il ne faut pas oublier les résistants membres des réseaux d’évasion des aviateurs alliés, régulièrement infiltrés par l’Abwehr et décimés : trahis ou capturés, beaucoup de Français sont ainsi fusillés, décapités, ou morts en déportation. Et dans son étude de la répression allemande contre ces réseaux, Laurent Thiery (doctorant à l’Université de Lille) nous démontre que pour le seul Nord de la France, on aurait tort de s’imaginer que « fraternité d’aviateurs oblige », les tribunaux militaires de la Luftwaffe ont été plus cléments que ceux de la Heer envers les résistants – même fortuits – qui aidaient les aviateurs alliés. Ces pages dédiées à de véritables héros de l’ombre ne sont pas les moins émouvantes, et m’inspirent cette réflexion personnelle : autant il a pu nous arriver un jour de nous poser des questions telles que « Qu’aurais-je fait durant cette guerre ? Serais-je parti en Angleterre pour continuer à me battre ? Aurais-je eu le courage d’entrer dans la Résistance ? », autant oublions-nous peut-être de nous demander concrètement si, resté chez nous par choix personnel ou par la force des choses, nous aurions ouvert la porte à l’un de ces aviateurs alliés abattus et recherchés, au risque d’être puni de mort par l’occupant. D’une manière ou d’une autre, la guerre n’épargne personne et il faudrait toujours s’y préparer, sous toutes ses formes : « Il ne suffit pas de se dire : à la prochaine, je ne dénoncerai pas les petits copains, je ne profiterai pas de la faiblesse du voisin, je tendrai la main à l’opprimé, je ne pactiserai pas avec l’infâme. Il faut se poser des questions sacrément plus précises : si un fugitif, traqué par ces forces dites de l’ordre dont chacun sait qu’elles travaillent pour la mort, si un pourchassé toque à ma porte, est-ce que je m’excuserai en racontant que je ne veux pas exposer mes enfants, est-ce que j’accepterai quand même de courir le grand risque, au péril peut-être de ceux que j’aime ? Il n’est jamais mauvais de résoudre par avance, ne serait-ce que dans sa cervelle, ce genre de petits problèmes. Quand ils se posent à chaud, ces problèmes, on flanche d’abord parce qu’on était pas préparé à les résoudre. Ceux dont l’histoire fait ensuite des salauds le sont souvent devenus parce qu’ils n’ont pas su, un jour, donner tout de suite la bonne réponse – après il est trop tard. C’est aussi pourquoi ils sont si nombreux. Et pourquoi les guerres, qui ont le don de si bien transformer les braves gens en salauds, sont si dangereuses.1 » Ainsi, quelle culpabilité ou silence a pu garder ce vieux fermier français qui, sur le pas de sa porte, a simplement refusé de l’eau à un Ralph Forster en fuite après avoir été abattu avec son Wellington en septembre 1942 ? (p.27)

La fin du livre est consacrée à la « législation des fouilles d’appareils abattus et la dévolution des objets retrouvés » (par Yves Roumegoux, Conservateur du Patrimoine à la DRAC Nord-Pas-de-Calais) et à la « méthodologie des fouilles d’appareils abattus » (Hugues Chevalier) et nous touchons là à un aspect particulièrement important pour qui souhaite mener ce genre de recherches : les difficultés matérielles lors des excavations, le danger des munitions non explosées, la découverte de restes humains et d’effets personnels, le respect de la législation mais aussi et tout simplement celui des combattants. Yves Le Maner, directeur de La Coupole, résume bien le but de ces actes du colloque (p.4) : fournir « matière aux passionnés, aux curieux d’histoire mais aussi aux maires des communes et aux représentants de l’État ponctuellement confrontés à des demandes de fouilles. Ils disposeront ainsi d’éléments d’information solides qui permettront notamment d’empêcher des opérations sauvages, menées par des Britanniques, le plus souvent, mais aussi par des Français, pour des motifs purement vénaux (vente de pièces sur Internet, réalisation de DVD destinés à la vente, etc.) La mémoire des dizaines de milliers d’aviateurs morts au combat pendant la Seconde Guerre mondiale exige le respect »

J’ai eu la chance de travailler directement avec certains « airchéologues » (ainsi que je les avais surnommés par abus de langage) lorsque j’œuvrais au Service Historique de l’Armée de l’Air : le général de Sacy m’a toujours laissé faire appel à eux là où le SHAA répondait généralement à un requérant étranger « il faut questionner le service historique de votre pays ». L’ouvrage présenté ici, véritable travail scientifique et synthétique donc, est aussi une belle reconnaissance pour tous ces passionnés. La qualité de l’ensemble (quadrichromie, mise en page sobre et élégante, professionnelle, sans aucune « coquille », avec de nombreuses photographies inédites et parfaitement reproduites, cartes et statistiques) contribue également à en faire un outil incontournable, un « coup de cœur » auquel fera écho avec beaucoup de pertinence le DVD réalisé dans le même esprit et intitulé « Archéologue aérien« .

Georges-Didier Rohrbacher

Notes :
1 – Extrait de la note de l’éditeur au livre « La mer cruelle » de Nicholas Monserrat, chez Phébus libretto.


180 pages, 20,5 x 27,5cm, couverture souple
Quadrichromie

Coup de cœur 2009

Ouvrages édités par
Ouvrages de
Sur le sujet
,
En bref

La Coupole

ISBN 978-2-9514152-8-1

coup de cœur 2009
25 €