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Adolphe Pégoud, le roi de l’air

Christiane Le Diouron

Une biographie récente d’Adolphe Pégoud manque certainement à beaucoup de bibliothèques spécialisées sur l’aviation. La précédente remontait à 1980 et rien n’est sorti depuis, sinon quelques articles, sur le web ou ailleurs. On ne peut donc qu’applaudir à l’initiative de l’auteur d’avoir voulu ramener un peu plus dans la lumière ce héros de l’aviation française du premier quart du XXe siècle, qui s’il n‘est pas très connu en dehors des cercles d’initiés n’en a pour autant jamais été « oublié ». Mais l’art de la biographie est difficile, car il oblige l’auteur à maîtriser non seulement la vie du personnage, mais aussi le contexte historique général, et dans ce cas précis, l’histoire de l’aviation ; ce n’est pas le cas ici.

Il s’agit d’un ouvrage à destination du grand public, comme le montre l’introduction de douze pages sur l’état de l’aviation en 1913, que l’auteur fait remonter à… Icare. Les connaisseurs ne s’y attarderont pas. De même, ils auront la tentation de passer également assez vite sur les douze pages suivantes, lesquelles commencent par l’enfance de l’aviateur, mais s’égarent ensuite tout à fait bizarrement dans un survol complet de son histoire jusqu’à… 1990. Drôle d’idée ! Pourquoi résumer là ce qui va être détaillé ensuite, comme si l’auteur voulait absolument se justifier d’avoir écrit cette biographie ! Car ensuite, elle revient sur certains aspects de la vie de l’aviateur, ce qui donne des répétitions gênantes. Pour autant, il ne faut surtout pas éviter de lire ce chapitre, car on y trouve des précisions dont on ne pourrait se passer, comme par exemple un thème astral du pilote. Passionnant ! Et pour une fois la source est citée (une fois n’est pas coutume).

Le chapitre sur les expériences de Pégoud dans le parachutisme et dans le pilotage est sans doute le plus intéressant. La grande presse illustrée a servi de source principale (Lecture pour tous, La Revue aérienne, etc…). Des pages en sont d’ailleurs reproduites intégralement (malheureusement la source d’une double page n’est pas citée). Car Pégoud a bien été l’inventeur de la voltige aérienne, cela ne fait aucun doute, même si le livre écarte sans doute un peu vite la question de savoir qui, de Pégoud ou du Russe Nesterov, aurait effectué la première boucle (« looping the loop », comme on disait à l’époque). Par contre, je pense qu’il était fort intéressant de nous rappeler que le Journal de Tintin en a parlé « un peu » en 1966, ce qui nous montre bien à quel niveau de « gloire » Pégoud est parvenu.

Le chapitre sur la guerre commence par une série d’informations diverses sur l’organisation de l’Armée française en 1914 (utilisation des cyclistes notamment) et de l’Aviation militaire depuis 1912, ce qui nous rappelle que l’ouvrage ne s’adresse pas non plus à des spécialistes de la Grande Guerre… Cette fois, l’auteur s’inspire des carnets de Pégoud, publiés et commentés par Paul Bonnefont (dans Lectures pour tous du 15 février 1917, puis dans Les Annales du 15 avril 1917 et non pas en 1918 comme indiqué à la fin du livre), mais sans véritable recul, en reprenant même certaines expressions. Et cela n’empêche pas les erreurs, de dates, de lieux, etc. Par exemple, l’auteur précise dans son introduction que Pégoud aurait été le premier aviateur à « mourir à la guerre », ce qui est évidement faux. On peut également lire que Pégoud aurait rallié l’escadrille MS-49 au mois de janvier 1915, alors qu’une rapide consultation de sa fiche Mémoire des hommes sur le web aurait appris que ce changement n’a eu lieu qu’en avril. Il ne pouvait d’ailleurs pas être plus tôt à cette escadrille à Belfort, car elle fut créée à Lyon le 18 avril, et déplacée vers Belfort le 22 (information également disponible sur Mémoire des hommes). Étonnante erreur, car deux pages après, on peut lire une phrase justement extraite des Carnets de Pégoud : « Escadrille MF-37 vient d’atterrir et en fait partie, à la date du 6 février 1915 ». Coquille ? Peut-être, laissons le bénéfice du doute. Mais alors, que dire du palmarès de Pégoud copié sans critique sur un site web américain connu. Un « two-seater » n’est pas un type d’avion allemand, mais plutôt un terme qu’on pourrait traduire par « biplace » (a vehicle providing seats for two people dit le Collins English Dictionary). D’ailleurs, j’aurais eu plutôt tendance à faire davantage confiance aux travaux de Cony et Bailey pour connaître les dates des victoires aériennes du pilote, mais peut-être aurais-je eu tort.

On regrettera donc non seulement l’absence de critique des sources, mais également l’absence d’une véritable recherche bibliographique. Il y a eu beaucoup des publications sur l’histoire de l’aviation militaire française depuis le livre de Gustave Crouzelier de… septembre 1916 ! Depuis, les archives se sont ouvertes. Et même si on s’adresse à un public non averti, cela n’interdit pas de s’informer des travaux les plus récents afin d’éviter de colporter une fois de plus les éternels poncifs sur la guerre aérienne de 1914-1918 .

Mais surtout, un effort aurait pu être fait sur la qualité des photos. Des photocopies de photos, cela ne donne pas grand-chose, mais des photocopies de photocopies, cela ne donne vraiment rien. À 19 €, cela fait cher les 160 photocopies. D’autant que les sources ne sont jamais mentionnées. Pourquoi ne pas mettre moins d’images, mais de meilleure qualité ?

Certes, l’ouvrage apporte des informations sur la courte carrière du pilote, et il y a bien des choses à y apprendre. Pégoud mérite une biographie digne de son talent indiscutable, et c’est sans doute dans cet esprit louable que l’auteur s’est mise à la tâche. Mais le résultat ne pourra sans doute contenter que les non-connaisseurs, et notamment les membres de l’Association d’Histoire et Patrimoine du Pays Voironnais auxquels cet ouvrage s’adresse en priorité. Pour les autres lecteurs potentiels, c’est moins sûr, alors qu’avec un peu plus d’ambition et de méthode, il aurait été possible de faire un véritable ouvrage capable de toucher à la fois le grand public et le lectorat plus averti des passionnés (et ils sont nombreux).

Thierry Le Roy


160 pages, broché

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Éditions Thot

ISBN : 978-2-84921-157-1

19 €