Comme le fait fort justement remarquer le communiqué de l’éditeur, il est curieux qu’aucun livre complet n’ait été précédemment dédié à Adrienne Bolland, cette grande dame de l’aviation, femme surprenante qui a profondément marqué l’histoire des ailes françaises. C’est d’autant plus étonnant que le personnage, dont on ne retient généralement que la traversée des Andes de 1921 à bord de son Caudron G3 de bois et de toile, a eu une existence qui ressemble à un ébouriffant roman d’aventures. On trouve bien évidemment sa trace (et parfois ses propres écrits, comme ce fut le cas dans le magazine Icare) dans divers livres et publications, mais jamais, à notre connaissance, de livre qui lui fût entièrement dédié.
Le lecteur qui n’aurait pas lu cet article ou aurait ouvert ce livre sans en lire le préambule pourrait être désorienté, car il pourrait croire que l’auteur en est Adrienne Bolland elle-même, le texte étant à la première personne. Martine Laporte use en effet d’un artifice littéraire séduisant, celui d’une « fausse » autobiographie où l’héroïne se raconterait ; un non-initié pourrait s’y tromper, le style de l’écriture étant de plus très proche de celui d’Adrienne. Cette forme quasi romanesque ne doit pas nous tromper, car nous sommes bien dans le domaine de l’Histoire, et les nombreuses fantaisies narrées dans l’ouvrage sont authentiques, même si elles paraissent complètement loufoques : ses tours pendables à René Caudron, son désinvolte « Je te serre la pince, Monseigneur ! » à un maharadjah, sa revue de troupes en pyjama à Santiago du Chili… tout cela est authentique et fait partie de l’historiographie aérienne. Ce personnage d’un grand modernisme, parfois iconoclaste et irrévérencieux, est un sujet de choix pour un ouvrage narratif, mais ce livre est néanmoins accompagné des nécessaires annexes, dont par exemple un dessin expliquant mieux qu’en un long exposé ce qu’est le dangereux effet de foehn évoqué dans le texte. On notera que notre « fausse Adrienne » met essentiellement l’accent sur le fabuleux exploit du 1er avril 1921, lequel occupe la majeure partie du livre, mais qu’elle s’étend assez peu sur ses engagements, que ce soient ceux de la militante féministe, de celle qui en 1936 apporta une aide militaire aux Républicains espagnols, ou encore de la Résistante qui fut membre des Forces Aériennes Françaises Libres…
Adrienne Bolland était une femme aux multiples facettes, aux idéaux politiques ancrés très à gauche (ce qui pourrait expliquer en partie un certain silence à son sujet) ; un personnage hors du commun dont il était temps qu’on lui consacre un livre. Portrait de femme par une femme, voilà un livre bel et bon qui devrait séduire un large public, et pas seulement les amateurs d’aéronautique. Mise en page élégante à gros caractères bien lisibles, nombreuses et belles illustrations quasiment toutes en pleine page, composées de nombreuses photographies d’époque (dont certaines inédites), de crayonnés du talentueux Bernard Lengert… C’est un livre réussi qu’il serait sot de réserver aux « aéromaniaques » et qui doit être proposé à un lectorat étendu*. Une écriture fluide, un épais papier de qualité, une qualité d’impression très soignée, voici un livre aussi agréable à manipuler qu’à lire. Nous le recommandons à tout passionné d’histoire de l’aviation… qui pourra l’offrir à l’élue de son cœur.
Philippe Ballarini
NDLR : Pour tout vous dire : l’épouse de l’auteur de ce modeste article s’est saisie du livre de Martine Laporte et, une page en appelant une autre, a peiné à le reposer, signe que cet ouvrage peut passionner un lectorat complètement étranger à l’aéronautique.
168 pages 22 x 27 cm
Couverture semi-rigide à grands rabats
70 photographies en pleine page
0,845 kg
Préface de Marie Vincente Latécoère
Introduction de Denis Parenteau
– Prix du livre France Bleu 2015
Avec l’aimable autorisation de © Villalobos Éditions