Structure Intégrée de Maintien en condition opérationnelle du Matériel Aéronautique du ministère de la Défense… derrière ce titre à rallonge né des cogitations insomniaques d’un technocrate du ministère de la Défense se cache la création d’un établissement inter-armées d’entretien de l’ensemble des matériels aéronautiques militaires français, profitant de l’expérience acquise depuis plus de cinquante ans par les Ateliers Industriels Aéronautiques, dont ce magnifique ouvrage se propose de retracer l’histoire depuis leur origine.
Dès les années vingt, l’Aéronautique militaire souhaite disposer de moyens industriels qui lui permettraient d’assurer elle-même l’entretien approfondi de ses appareils, plutôt que d’en laisser la responsabilité aux constructeurs qui auraient tendance à privilégier le remplacement des avions qu’ils considèrent un peu comme du matériel consommable. L’apparition de nouveaux modèles plus complexes au début des années trente rend encore moins défendable cette position et en 1934, alors que l’Armée de l’air récemment créée se donne des moyens d’existence législatifs, deux arrêtés portent création de plusieurs ateliers régionaux de réparations de matériels aériens dans quatre ville de métropole : Bordeaux, Limoges, Clermont-Ferrand et Toulouse, ainsi qu’à Alger, en même temps qu’est décidée par ailleurs la création d’un Arsenal de matériel aérien.
Publier un arrêté est une chose, le mettre en application en est une autre et il faut attendre 1937 pour voir un établissement, celui de Bordeaux, livrer ses premiers moteurs révisés, tandis que les travaux ont commencé en Métropole sur le terrain d’Aulnat et en Algérie sur celui de Maison-Blanche, et que la Marine Nationale a obtenu de créer son propre atelier à Toulon, lequel sera transféré après la guerre à Cuers. Au moment de l’entrée en guerre en 1939, ce sont donc quatre établissements qui sont opérationnels, alors que les travaux ont commencé à Limoges et Toulouse, et que la création d’un septième atelier est décidée à Casablanca.
Entre-temps, ces unités ont changé de nom pour devenir Ateliers de Réparation de l’Armée de l’Air, modification moins anodine qu’il y paraît, car elle reflète la valse-hésitation qui occupe toutes ces années pour savoir ils doivent être rattachés directement à l’Armée de l’air ou bien à la Direction des Constructions Aéronautiques du Ministère de l’Air. Il faudra attendre la fin de la guerre pour que la question soit définitivement réglée.
Sous la nouvelle désignation (encore !) d’Atelier Industriel Aéronautique, décidée par le gouvernement de Vichy, ils sont rattachés en 1945 à l’importante agence gouvernementale, qui vient d’être créée, en charge de l’appareil militaro-industriel français. Hormis la disparition des établissements d’Afrique du Nord, leur situation restera relativement stable jusqu’à la création de la SIMMAD évoquée plus haut.
Si l’ouvrage est principalement constitué de monographies très complètes consacrées à chacun des AIA existant ou disparu, il s’ouvre sur une série de chapitres de synthèse particulièrement intéressants, dont celui consacré à la sociologie de ces établissements n’est pas le moindre.
On lira également avec grand intérêt la partie consacrée aux ateliers d’Afrique du Nord et de Syrie, largement due à la plume de Marcel Bénichou, qui rappelle la difficulté qu’il y a encore aujourd’hui à reconstituer cette histoire en face de l’absence d’archives les concernant.
L’ouvrage est édité par le Comité pour l’histoire de l’aéronautique au sein du Centre des hautes études de l’armement, mais représente pour ce dernier une sorte de chant du cygne, puisqu’il a depuis fusionné avec l’Institut des hautes études de la défense nationale. Comme les autres travaux publiés par le Comaéro, celui-ci n’est pas commercialisé mais il est disponible gratuitement sous forme « papier » auprès de l’IHEDN, dont on trouvera les coordonnées sur le site Internet du CHEAR qui est toujours actif, lequel site permet également de télécharger au format pdf tous ces documents.
L’occasion nous est donnée de rappeler l’existence de nombreux travaux historiques publiés depuis une trentaine d’années par diverses institutions liées à l’industrie aéronautique française dont le Comaéro bien sûr, mais aussi par les commissions historiques de l’Académie Nationale de l’Aéronautique et de l’Espace et de l’Association Aéronautique et Astronautique Française (dite 3AF). Contemporaine d’un intérêt naissant au sein de l’Université pour le même sujet au début des années quatre-vingt – grâce en particulier aux travaux de Claude Carlier et du regretté Emmanuel Chadeau, cette prise de conscience de l’importance d’écrire l’Histoire industrielle aéronautique de notre pays n’était peut-être pas étrangère à l’accélération de l’intégration européenne de ce secteur.
D’une manière plus spécifique, ces travaux issus du monde industriel prouvent qu’une approche technique de l’Histoire aéronautique est possible, montrant une troisième voie que passionnés et universitaires seraient bien inspirés d’explorer plus fréquemment.
Pierre-François Mary
21 x 29 cm, 324 pages, broché