Bruno Vielle, spécialiste de l’histoire d’Air Inter et d’Air France, avait publié en 2011 un excellent ouvrage consacré aux dix premières années de la compagnie nationale, histoire largement méconnue. Ce nouveau volume reprend le cours du récit à la fin de l’année 1944, alors que la plus grande part du territoire métropolitain est libérée, mais dont l’état des routes et du réseau ferré ravagés par les combats des mois précédents rend indispensable la reprise rapide des liaisons aériennes, au moins pour les responsables des armées et de l’administration.
Malgré la volonté affichée des pouvoirs politiques, il faudra des années pour que la nouvelle compagnie Air France reprenne une pleine activité opérationnelle: il ne reste pratiquement rien des moyens humains et matériels hérités de l’ancienne compagnie d’avant-guerre, qui a survécu tant bien que mal sous l’Occupation, puis sous une forme militaire hors de métropole; il n’est pas surprenant que l’auteur accorde à ces années de reconstruction une place prépondérante dans un ouvrage qui nous mène jusqu’à la fin de l’année 1958, à la veille de la révolution que va constituer la mise en service des jets – si on fait abstraction de l’exploitation éphémère du Comet.
On suit bien entendu la trame des grandes décisions politiques qui affectent l’avenir du transport aérien français, y compris l’apparition des institutions internationales, mais cet ouvrage doit être avant tout considéré comme une chronique. Chronique d’un réseau qui reflète à la fois le nouveau monde économique en pleine reconstruction, mais qui doit aussi tenir compte des souhaits de l’État pour qui une compagnie aérienne est un moyen de représentation à l’étranger, en même temps que le moyen de renforcer les communications avec un empire colonial dont l’avenir est de plus en plus incertain, réseau qu’il faut de plus partager avec d’autres compagnies françaises… Chronique également d’une flotte qu’il faut presque entièrement renouveler, les dirigeants d’Air France se retrouvant tiraillés entre d’un côté le souci d’exploiter des avions performants et rentables — donc américains, et de l’autre le souhait des services officiels — encore eux ! — de soutenir les constructeurs nationaux, même s’il ne fait aucun doute pour qui que ce soit que leurs appareils, calculés suivant des méthodes d’avant-guerre, sont complètement dépassés.
Les deux volumes forment un ensemble cohérent qui connaîtra très probablement une suite bienvenue. Cependant, ce deuxième tome révèle peut-être les limites du choix fait par l’auteur en ne se consacrant véritablement qu’au couple flotte-réseau. Si la période d’avant-guerre ressemble à une aventure, malgré une régularité d’exploitation qu’on oublie souvent, la compagnie aérienne des années cinquante évolue rapidement vers celle que l’on connaît aujourd’hui : le passager d’un Super-Constellation devient un client qu’il faut séduire, qu’il faut accueillir à l’aéroport et dans l’avion; l’entretien devient une activité industrielle; le traitement des appareils en escale fait développer ou naître de nombreux métiers; et pour la conduite des avions eux-mêmes, l’évolution est considérable: mise en place d’un réel travail en équipage, nouveaux moyens de navigation… autant de sujets très peu abordés, voire complètement oubliés.
L’iconographie de l’ouvrage, certes nombreuse et de bonne qualité, est si l’on peut dire l’illustration de ce choix de l’auteur, en privilégiant les « portraits » d’avion — près de trente photos de SO Languedoc, autant de DC-4 se ressemblant un peu toutes — au détriment de vues plus vivantes qui auraient davantage reflété la réalité et la diversité de l’activité d’Air France au cours de ces quinze années.
Quoi qu’il en soit, en respectant les choix de Bruno Vielle, on lira avec plaisir un ouvrage au style agréable qui forme une bonne référence.
Pierre-François Mary
176 pages, 24,7 x 27,6 cm, relié
212 photos N&B et couleur
1,100 kg
Préface d’Alexandre de Juniac
Avec l’aimable autorisation de
© ETAI
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