On se souvient, avec émotion pour certains, avec un sourire amusé pour d’autres, de la fameuse découverte de la gourmette d’Antoine de Saint-Exupéry, suivie de celle de l’épave de son Lightning F-5B dans le même secteur, au large des calanques marseillaises. Avec un sourire amusé ? Sans aucun doute, car certains épisodes de la découverte de ces vestiges relèvent de la tragi-comédie.
Alors quoi ? Après que Bernard Marck nous ait gratifié d’une biographie de « Tonio » en près de 1100 pages, Philippe Castellano se livrerait-il lui aussi à la périlleuse aventure de la narration de l’existence du célébrissime écrivain pilote ? Soyez rassurés : il n’en a pas l’ombre de la prétention.
Ceux qui ont plus ou moins suivi l’histoire qui s’est déroulée autour d’une gourmette en argent et d’une épave immergée à plus de 80 m de fond savent qu’il s’agit d’une épopée qui abonda en médisances, vacheries et coups tordus dont on peut difficilement sortir indemne. On fit du patron de chalutier Jean-Claude Bianco un faussaire, du patron de la Comex Henri-Germain Delauze un aventurier de bas étage, du « plongeur-historien » amateur Philippe Castellano un charlatan et un profanateur de sépulture, etc.
Alors même qu’il y avait plutôt lieu de se réjouir de ces découvertes, tout le catalogue des bassesses a étonnamment été utilisé, marquant profondément les acteurs de ce qui aurait pu être une bien belle histoire. Car derrière les fastes de la remise au MAE* des reliques saint-exupériennes se cachent bien des péripéties et bien des turpitudes auxquelles, on l’oublie souvent, la Justice elle-même fut mêlée.
Cette étonnante histoire marqua à ce point Philippe Castellano qu’il répugne désormais à en parler, désireux de passer maintenant à autre chose. On le comprendra d’autant mieux à la lecture de ce livre en deux volumes. Il ne lui est toutefois possible de tourner la page qu’après qu’il ait « vidé son sac ». C’est peut-être un peu la fonction de cet ouvrage qu’il ne faudrait néanmoins pas confondre avec un « règlement de comptes ». Il y a plusieurs années de cela, Philippe Castellano l’avait dit : « Un jour, il faudra que je raconte tout. » Voilà qui est fait. Sans navaja ni yatagan. Sans brosse à reluire ni tapis rouge non plus.
« CéPé » n’est pas du monde des hargneux ou des aigris. La plume au vitriol, ce n’est pas son fort et c’est tant mieux. Là où d’autres auraient traité le sujet au Décapex, il se contente des faits. Du factuel, rien que du factuel. Et l’enthousiasme qui affleure sans cesse, gommant l’amertume.
Quelques menus regrets néanmoins : à la fin du second tome, Philippe Castellano semble séduit par l’hypothèse selon laquelle Horst Rippert serait le pilote allemand ayant abattu Antoine de Saint-Exupéry. Certes, il le fait après de nombreuses réticences et du bout des lèvres, mais nous avons le sentiment qu’il aurait pu s’abstenir de s’aventurer sur ce terrain où d’autres ont déjà dérapé. Cela gâte un peu le plaisir, d’autant plus que le livre est écrit d’une plume alerte et plaisante, et qu’il recèle une myriade d’informations sur ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Saint-Exupéry », « affaire » qui pourrira longtemps encore le climat autour de « Tonio ».
Par ailleurs, on comprend mal le choix de l’éditeur de publier sur deux tomes d’environ 200 pages un ouvrage qui aurait pu tenir dans un unique volume de 400 pages qui eût été d’un prix de vente plus léger pour l’escarcelle de plus en plus maigre de l’amateur de littérature aéronautique. Rien, dans la structure du texte, ne justifie ce découpage. Nous invitons avec insistance l’éditeur à y penser à l’occasion d’une seconde édition.
Malgré ces petites remarques, et selon une formule souvent galvaudée, ces livres sont réellement indispensables à ceux qui s’intéressent à Saint-Exupéry et à sa fin. Ils éclairent également l’amateur sur le climat délétère qui règne dans certains milieux, pour peu que l’argent, la célébrité et des amours-propres exacerbés se mêlent à l’histoire. Le livre de Philippe Castellano ne se limite pas à vous permettre de briller dans les salons : il vous donne les clés de la compréhension de l’étrange climat qui entoura depuis la fin des années 90 les vestiges du dernier vol de Saint-Exupéry. Un beau pavé dans les eaux provençales.
Philippe Ballarini
216 pages, 14,8 x 21 cm, broché
Chaque volume contient un cahier photos imprimées sur papier couché de bonne qualité (39 illustrations en noir et blanc au total).
– Préface de Henri-Germain Delauze
*MAE : Musée de l’Air et de l’Espace (Aéroport Paris-Le Bourget)
– Antoine de Saint-Exupéry Tome 1 : Journal d’une enquête.
– Antoine de Saint-Exupéry Tome 2 : Et la vérité jaillit des profondeurs marines.