Voilà un ouvrage qui nous change des dernières parutions à propos de voilures tournantes… En lui-même, le titre laisse supposer que l’ambition en est élevée. Et les 359 pages qui le constituent le confirment. À sa lecture on se surprend à penser que l’hélicoptère a enfin acquis le statut de produit industriel mature dans notre société, ce dont on ne peut que se réjouir. Ce livre n’est probablement pas sans quelque rapport avec la thèse soutenue il y a quelques années par l’auteur ; on est ici dans le registre du travail de recherche, de l’analyse de fond, puissamment soutenue par de très impressionnantes références (pas moins de 25 pages de bibliographie et de sources).
Mais s’agissant donc de “l’étonnante histoire d’Eurocopter”, quel genre d’analyse est-ce donc ? Ainsi que le suggère son titre et que le souligne Jean-Claude Tarondeau (professeur honoraire à l’ESSEC) dans sa préface, ce livre est une analyse de gestion. L’Histoire, elle, y est vue comme le vecteur, l’angle par lequel le sujet est approché et pénétré. L’ouvrage est ainsi marqué. Il en tire beaucoup de son intérêt, il en est affecté aussi dans ses défauts.
Et de l’intérêt, ce livre n’en manque pas. Analyse soigneuse d’un énorme ensemble documentaire portant sur un large éventail de sujets, il constitue la première vraie synthèse du développement de l’industrie française des voilures tournantes, de 1945 à 1990. Une synthèse brillante, où les observateurs qui connaissent le sujet trouveront sans nul doute des confirmations à leurs ressentis sur la question, et des explications complexes mais passionnantes à des phénomènes qui ne le sont pas moins. Car le travail de Marc-Daniel Seiffert est très complet : il examine l’évolution de son positionnement dans le transport aérien civil comme dans les ordres de bataille.
L’Histoire, vecteur d’analyse gestionnaire… Pourquoi pas. Dommage, cependant, que l’exclusivité très défendable de ce point de vue ne se soit pas accompagnée de plus de vigilance sur les aspects techniques et chroniques, lesquels, très présents dans la première partie, auraient mérité plus d’attention. L’analyse y manque en effet souvent de précision : le volume du paragraphe titré « comment la France récupéra la technologie allemande » n’excède pas 1200 caractères… De plus, l’auteur s’y empêtre parfois dans des erreurs incompréhensibles, comme quand il situe le premier vol du SE 3110 en 1951 (il date de juin 1950) et le présente comme « un appareil sans originalité mais qui sauvait le bureau d’études » en permettant de « faire voler correctement sa version agricole, le SE 3120 »… L’échec du SE 3110, après deux accidents en quelques minutes de vol, a failli signer la fin de l’activité hélicoptère chez Sud-Est… Et si le SE 3120 a été un succès, c’est bien en ce qu’il différait très notablement de son prédécesseur, dont il n’était la version agricole qu’en termes de dialectique commerciale…
D’autre part, ce livre n’analyse pas l’Histoire d’Eurocopter mais se limite peu ou prou à sa part française, certes majoritaire, mais quand même… L’auteur aborde l’histoire allemande d’Eurocopter seulement par le biais des coopérations, qu’il relate d’ailleurs assez brièvement. Mais comment MBB en est-elle arrivée au Bö 105, comment la coopération qui a donné naissance au BK 117 s’est elle nouée… Et comment, même, ces coopérations autour du Tigre et du NH 90 ont-elles débouché sur une fusion… Voilà une histoire qui reste à écrire.
Évidemment très vaste si l’on considère la précision du traitement, un tel sujet aurait sans doute gagné à une étude à quatre mains, pour que ses différents aspects fussent mieux pris en compte. C’est d’autant plus regrettable que ce travail, outre l’imposant ensemble de références auxquelles il fait appel, peut aider à comprendre comment l’hélicoptériste français s’est développé. Si l’on s’intéresse aux stratégies industrielles on y trouvera du grain à moudre. Pour résumer, il faut lire ce livre atypique. Mais pour son titre, et surtout pas pour son sous-titre.
Philippe Boulay
430 pages, format 15 x 24 cm