Peut-on raisonnablement résumer en 224 pages la totalité de l’histoire de la guerre aérienne ? C’est le pari des auteurs britanniques Alexander et Malcolm Swanston dont la traduction et l’adaptation française de l’Atlas mondial des combats aériens nous est proposée par les éditions ETAI. Pour autant, il ne s’agit pas stricto sensu d’un atlas, c’est-à-dire d’une compilation ordonnée de cartes diverses, puisque texte et photos sont bien présents. Arrêtons-nous tout d’abord sur ces derniers aspects avant de revenir à la problématique initiale des représentations géographiques.
L’ouvrage se décompose en effet en 68 chapitres évoquant chronologiquement les grandes dates depuis les débuts de l’aviation et ses premiers emplois militaires, jusqu’à la récente intervention en Afghanistan. Vaste programme et l’on comprend que les auteurs aient abordé chaque période (susceptible de remplir plusieurs tomes) dans ce qu’il y a de plus essentiel. S’agissant d’un ouvrage manifestement basé sur des sources anglo-saxonnes, on ne s’étonnera pas de constater que Clément Ader est totalement absent comme l’un des concurrents ou éventuels précurseurs des frères Wright, tandis que le Néo-Zélandais Richard Pearse, l’Écossais Preston Watson ou encore l’Allemand Karl Jatho sont bien répertoriés comme ayant peut-être réussi un “premier vol”. De fait, hormis pour la Première Guerre mondiale, le rôle de la France est anecdotique dans les autres chapitres. Aussi, apprécions ce savoureux élan cocardier “so british” à propos du Sopwith Pup et du Sopwith Triplane : « Ces appareils apeurèrent les aviateurs allemands qui s’efforcèrent de les éviter ». Mais peut-être ne s’agit-il que d’une traduction approximative, le même problème semblant se reproduire en ce qui concerne les bombardiers de la RAF durant la Seconde Guerre mondiale : « Comme la DCA et les projecteurs allemands devenaient de plus en plus efficaces, les bombardiers furent forcés de voler plus haut, rendant ainsi encore plus difficile l’identification de leur cible. Un petit nombre d’appareils de la RAF furent équipés d’un appareil de prises de vue de bombardement, lequel était uniquement confié aux meilleurs équipages ». Ne s’agirait-il pas plutôt du premier radar aéroporté de navigation et de bombardement, le célèbre H2S ? Mais si le texte de l’ouvrage, un condensé à vocation forcément généraliste, reste malgré tout intéressant, les photographies (absolument dépourvues du moindre crédit, y compris en fin d’ouvrage !) sont reproduites si grossièrement parfois que l’on croirait avoir affaire à des numérisations directes dans d’autres ouvrages, sans le moindre détramage ! L’une d’elles montre un chasseur Albatros abattu en flammes et son pilote dépourvu de parachute tomber dans le vide : le fait est pourtant bien connu aujourd’hui qu’il s’agit d’un montage trop beau pour être vrai (à base de maquettes, extrait de la collection Cockburn-Lange apparue en 1932, tout de même !) et non d’une vraie photo air to air prise durant la Première Guerre mondiale.
Voyons à présent l’attrait principal annoncé avec le titre de l’ouvrage : les “plus de 120 cartes détaillées des combats aériens”. Il est certain que l’infographie permet aujourd’hui d’en produire aisément et à un coût modéré, si l’on songe à l’époque pas si lointaine où sans l’outil informatique, cette possibilité était beaucoup plus longue et onéreuse. L’idée est d’autant plus louable que la géographie, cousine inséparable de l’histoire, est la clé sans laquelle la compréhension claire d’un évènement historique est imparfaite.
Mais au-delà d’une sorte de fascination scolaire devant ces cartes (mais aussi des “plateaux” en deux dimensions ou illustrations montrant des techniques de combat tel l’Immelman) au demeurant fort bien réalisées, le changement incessant d’échelle – nécessités de la mise en page obligent – nuit souvent à la perception des étendues. Ces dernières sont en revanche admirablement restituées par des planisphères montrant par exemple le rôle stratégique de l’île de Malte, véritable porte-avions allié contrôlant la Méditerranée, ou encore le jeu du chat et de la souris des porte-avions japonais et américains, dans les lointaines immensités du Pacifique. A contrario, certaines cartes classiques façon “ordre de bataille” ne montrent parfois que des armées antagonistes pointées par les petites drapeaux adéquats et se faisant face, sans apporter un éclairage sur le fait aérien proprement dit.
Au milieu de toute cette geste guerrière, les auteurs ont également évoqué de façon pertinente les lignes aériennes de l’immense empire britannique dans l’entre-deux-guerres, les clippers américains ou le transport à longue distance 1934-1939, voire encore le pont aérien de Berlin. En effet, l’autonomie des avions est bien la pierre angulaire de toute stratégie aérienne civile ou militaire : sans réservoirs supplémentaires, les chasseurs de la Luftwaffe ne purent opérer que brièvement dans le ciel de l’Angleterre durant la Bataille d’Angleterre, tandis que le ravitaillement en vol apporta après-guerre l’indispensable allonge à des bombardiers nucléaires aux jambes courtes, tel le Mirage IV français. Cet aspect aurait mérité à lui seul une entrée mise en corrélation avec la problématique de la géographie… mais sans doute devenons-nous très exigeant !
Finalement, l’argument géographique de ce livre nous convainc à moitié compte tenu de l’intérêt relatif de certaines cartes plutôt élémentaires et “décoratives” : nous avons le sentiment qu’elles “meublent” là où les auteurs n’ont pu s’inspirer d’approches plus pertinentes, vraisemblablement issues de la bibliographie citée. Décrypter “le dessous des cartes” nécessite en réalité des explications historiques, stratégiques ou techniques détaillées : plus qu’un atlas, Alexander et Malcolm Swanston nous proposent une compilation intéressante, un ouvrage à vocation encyclopédique et généraliste qui peut constituer une très bonne base dès lors qu’il s’agit d’initiation.
Georges-Didier Rohrbacher
224 pages, 23,5 x 30 cm, relié + jaquette
1,260 kg