Georges Villa fut l’un des tous premiers Peintres de l’Air (étant sur la liste du premier agrément du genre, en 1930) mais peu se souviennent de ce dessinateur et illustrateur qui fut une figure de Montmartre jusqu’à son décès dans les années 60. Cette vie mondaine brassant de multiples connaissances et associations était néanmoins plus modeste que celle qu’il connut dans le Paris de la Belle Époque.
Fils de général mais plus attiré par les Beaux-Arts dont il sort diplômé en 1904 après avoir effectué son service militaire dans l’infanterie, son coup de crayon l’amène au Salon des artistes français. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec le lieutenant-colonel Osnobichine, attaché militaire russe à Paris. Celui-ci l’invite à Nice où il croise le grand-duc Valdimir lequel à son tour l’invite en 1905… à Saint-Pétersbourg. Hôte durant des mois du premier cercle de la famille tsariste, il y retourne en juin 1914. C’est alors qu’il débute ses carnets. Officier de réserve, la déclaration de guerre l’amène à écourter son séjour et à entreprendre le périple du retour vers le sol natal… par les Dardanelles et donc sous le feu des Turcs. Semaines précieusement consignés qui reflètent l’état d’esprit de notre allié mais aussi celui des français expatriés qui se retrouvent sous le feu sans pouvoir combattre.
Un carnet a-t-il été égaré ? Treize mois manquent : son incorporation et sa vie de fantassin ne sont pas mentionnées.
Mais la plume de Christian Wagner nous renseigne que suite à une blessure, il a demandé et obtenu -une fois rétabli- de passer à l’aviation. On le retrouve donc mi-septembre 1915 en tant qu’élève pilote. Et dès lors, au gré des disponibilités, on suit son ressenti d’officier couchant sur le papier son vécu jusqu’en janvier 1919. Car là est la particularité de ces carnets : bien qu’officier et issu d’un milieu à priori conscient des enjeux majeurs, servi par des fréquentations qui justement pouvaient lui offrir un regard global, Georges Villa est surtout centré sur son existence. Célibataire, il vient à fréquenter une marraine de guerre. Officier de réserve, il constate le fossé entre ceux de carrière et ceux rappelés. Notre surprise, en regard du titre, est que finalement moins de considérations reflètent le pilotage que la longue liste des décès de ceux qu’ayant croisés, il mentionne à l’annonce de leur mort. Puis viennent ses préoccupations des rapports hiérarchiques.
On pourrait être déçu par si peu (en regard du volume -près de 300 pages-) alors que paradoxalement cet ouvrage -au prix modique bien qu’imprimé sur papier glacé- apporte un très intéressant regard sur la mentalité d’un homme sous l’uniforme.
Car une guerre n’a pas que des champions, mais aussi des hommes qui doutent.
A l’occasion du Centenaire, plusieurs ouvrages ont ainsi mis en avant ces témoignages (le plus souvent) de Poilus en contre-champs des biographies habituelles d’hommes aux destins glorieux ou à tout le moins positivement, voire héroïquement remarquables.
Nous voici avec un cas semblable, surprenant puisque dans le domaine pourtant favorisé par l’aura de l’aviation. Hormis peut-être du cas de Gordon Levett (*) qui engagé comme simple mécano, passa pilote pour finir Squadron Leader (**) cela en l’espace de la seconde Guerre Mondiale, et qui se lassant de n’être que moniteur puis se désespérant d’être libérable pour au final, en 1947, être sanctionné par la hiérarchie (pour abandon de poste) et quittera alors l’uniforme, une telle biographie nous semble originale.
Il appartiendra à chaque lecteur de se faire son opinion : Georges Villa est-il victime d’un terrible hiatus social ? des désillusions d’une guerre sans fin ? d’un spleen sentimental ? ou de la combinaison de multiples facteurs encore plus divers ? Assurément, ses problèmes de santé ont joué un rôle important.
S’il ne se plaint pas de son sort d’aviateur, il ne semble pas en tirer la force suffisante pour surmonter cette vie militaire. Bien qu’ayant prit part à l’une des premières missions de bombardement en profondeur dont il se fait l’écho, l’homme, bourgeois instruit et curieux intellectuellement, nous offre son âme, son regard (autant photographique que tracé sur le papier) à la recherche de cette satisfaction qui s’affadit au long de ses trois années d’aviation.
Cet ouvrage atypique en regard de ceux habituellement présentés dans l’Aérobibliothèque est précieux par la production d’un tableau reflétant cette face cachée d’une nation, celle des difficultés qu’elle produit lorsque l’unisson tant clamé n’est qu’apparent. Ce d’autant plus lorsque l’homme en question a porté des innovations, mais se heurtant à un plafond de verre, n’est pas parvenu à servir son pays comme il l’espérait.
François Ribailly
288 pages, 70 photos N&B d’époque et 8 en couleurs (documents) 48 dessins et croquis de l’artiste
(*) autobiographie publiée en 1994 sous le titre : Flying under two flags : an ex-RAF pilot in Israel’s War of Independence
(**) Commandant dans l’Armée de l’Air