Vous êtes ici : Biographies et autobiographies   

Baron rouge et cigogne blanche

Patrick de Gmeline

Il y a loin des célèbres Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque (46-125 après J-C) qui nous sont données comme un précédent prestigieux à Baron Rouge et Cigogne Blanche grâce auquel Patrick de Gmeline entend réparer une injustice, c’est-à-dire sortir l’as français de 1914-1918 René Fonck de l’anonymat pour le grand public et l’armée de l’Air : « La seule manière de contourner ces difficultés était, à mon sens, d’ « adosser » cette biographie à celle d’un héros de l’air tout aussi authentique mais, contrairement à lui, très médiatique ! Et tout naturellement, à mes yeux, ce héros ne pouvait être qu’être Manfred von Richthofen, le Baron Rouge, que j’étudiais depuis longtemps et dont la biographie m’avait été, quatre ans plus tôt, refusée par un éditeur ». Le comble : après l’amnésie nationale, l’ingratitude des éditeurs ! Comme si un homme avec sa complexité si difficile à évaluer, son histoire que l’on tente de retracer au prix de mille recherches et confrontations, avec cette part d’ombre et de lumière qui habite chacun d’entre nous, comme si tout cela donc ne suffisait pas. Vive la médiatisation ! De quoi donner des idées à qui voudrait par exemple écrire la biographie de l’as du Normandie-Niemen Marcel Albert, héros des Forces Aériennes Françaises Libres discret jusqu’à son dernier souffle, en l’adossant à celle du célèbre as de la Luftwaffe Adolf Galland ! Non vraiment, les prolepses n’y suffisent pas, n’est pas Plutarque qui croit.

Au fil de manifestations d’autosatisfaction à la première personne de l’indicatif, appuyées par le parrainage de généraux plusieurs fois cités et dûment photographiés avec lui, Patrick de Gmeline achève ainsi sa préface : « Car assurément, près d’un siècle après cette guerre civile entre Européens, qui a sonné le glas d’une civilisation [sic], ces deux hommes, ces deux soldats, ces deux aviateurs, ces deux héros, qu’importe leur nationalité, peuvent encore constituer des exemples et méritent que les générations actuelles les connaissent, en dehors de toute passion » En dehors de toute passion, oui, c’est cela, l’objectif est atteint car la lecture de ce livre ne nous a ni passionné ni appris quelque chose de nouveau sur René Fonck et la guerre aérienne 1914-1918 en général (les spécialistes du Rittmeister diront peut-être ce qu’il en est de la partie allemande). L’auteur est peut-être « bien plus qu’un merveilleux conteur », selon l’un de ses puissants et bienveillants parrains, mais on manque s’endormir avant d’avoir senti le souffle épique : après Jacques Mortane et Henry Bordeaux au XXe siècle et la foultitude de biographies dithyrambiques de la même veine, lire aujourd’hui près de 500 pages sur les « chevaliers du ciel » dont on ne compte plus les vertus avérées ou par trop méconnues, c’est compassé, fastidieux et pour tout dire peu pédagogique (ainsi, n’apprenons-nous pas — enfin ! — p.16 que non contents de combattre, « Richthofen et Fonck sont aussi des hommes qui pensent » ? Prière de fermer la porte…)

Retrouvons notre sérieux pour nous attarder sur l’objectif déclaré de l’auteur. Depuis bien longtemps l’état-major de l’armée de l’Air aurait dû entreprendre courageusement la « réhabilitation » effective, dans les cœurs, de René Fonck et il se chuchotait tout simplement depuis quelques années déjà ce que Patrick de Gmeline clame tout haut dans son livre aujourd’hui, à savoir qu’aucune base aérienne ou promotion de l’École de l’Air ne porte le nom de l’as français. Ce n’est pas faute au général Roland Le Bourdonnec, dernier chef de feu le Service Historique de l’Armée de l’Air, d’avoir missionné deux fanas et humbles serviteurs de l’institution pour tenter d’en finir avec les procès d’intention et faire la lumière le plus complètement possible sur l’aviateur lorrain, sans arrière-pensée ni parti pris. Le sujet était sinon peu consensuel (il est vrai qu’en matière d’affaires humaines, il faut parfois subir ensuite stoïquement les boulets des infatigables artilleurs de la poliorcétique familiale et/ou historique), du moins négligeable pour d’indéboulonnables universitaires oints des saintes huiles de l’histoire et discourant de haute stratégie dans les colloques confidentiels. Désintéressés, Corinne Micelli et Bernard Palmieri n’ont ainsi eu d’autre choix que de publier chez un éditeur privé le fruit d’un méthodique et patient travail contenant précisément des sources d’archives inédites, sans aucun verbiage inutile ni sempiternel « brodage » à la gloire des chevaliers de l’azur. L’armée de l’Air a donc encore montré son audace en parrainant le livre non institutionnel aujourd’hui recensé, au motif notamment que son auteur en a déjà publié une trentaine. Hélas, c’est bien connu, on ne prête qu’aux riches ! Mais s’adosser à la légende d’un héros pour espérer gagner en retour la « petite immortalité » (processus si bien décrit par Milan Kundera dans son roman L’immortalité), n’est-ce pas un peu voyant ? Et de grâce, qu’on nous épargne le spectacle d’un Mirage 2000 peint en rouge et arborant la cigogne de la SPA103 !

Georges-Didier Rohrbacher


516 pages, 14 x 22,5 cm, broché

En bref

Presses de la Cité

ISBN 978-2-258-08601-2

24 €