Bien qu’illustrateur de longue date et travaillant dans le milieu depuis 1982, il n’est pas totalement faux de dire que c’est la guerre qui a amené Mark Van Oppen, alias Marvano, à la bande dessinée. C’est en effet en adaptant La guerre éternelle, roman de Haldeman, qu’il sort ses premiers albums.
Ce coup d’essai était un coup de maître : La guerre éternelle conte une guerre intergalactique mais, loin des clichés du genre, devient la référence de la science-fiction réaliste. Celle qui dit que, quelles que soient les armes et les moyens employés, et même quelle que soit l’espèce qui la mène, la guerre continuera à exister et restera avant tout une histoire de jeunes gens envoyés à la boucherie sans avoir vraiment le choix.
Les sept nains, sorti chez Dupuis en 1994, était une création du seul Marvano. Sept nains, sept gosses enfermés dans S-Snowwhite (Blanche-Neige), un Avro Lancaster envoyé presque toutes les nuits sur l’Allemagne. Nous sommes en 1943, et le pilote de S-Snowwhite raconte son histoire dans une lettre adressée à celle qu’il aime.
L’histoire est bien connue, mais Marvano la sort de l’ordinaire de deux manières. D’une part, en soignant les détails ; d’autre part, en évitant soigneusement de raconter une histoire de héros. Loin d’un Buck Danny qui se sort, souriant et à peine décoiffé, des embûches les plus inextricables, il nous donne à voir des hommes, avec leurs faiblesses, leurs superstitions et leurs lâchetés : « [La flak] en a après V-Victor. Nous n’en sommes pas fiers, mais je sais ce que nous pensons tous : “Mieux vaut eux que nous.” »
C’est une très grande réussite que Marvano nous a proposée là, en écrivant et en dessinant un récit intimiste sans être voyeur, rythmé de frousse et de sang, dur et dépourvu d’angélisme. Car « Après tout, vous emportez le même type de bombes en Allemagne. »
Douze ans ont passé. Dupuis et Dargaud se sont rejoints et Marvano pense à tirer une trilogie de ses Sept nains. Berlin, ville centrale de l’album, devient le titre de la série, et Les sept nains devient le premier tome. Il ressort donc, chez Dargaud, en même temps qu’apparaît le second tome, Reinhard le goupil.
Cette fois, nous sommes en 1948, pendant le pont aérien de Berlin. Un ancien commandant de Lancaster revient sur la ville qu’il a si souvent bombardée pour y apporter des vivres et distribuer des friandises aux enfants. Attiré par la possibilité de récupérer un large volume d’or, il va tenter de faire passer à l’ouest Reinhard, fils de Hans Kammler.
Autant Les sept nains mise sur la crédibilité du propos, avec un récit très réaliste, des détails qui sonnent juste et des personnages ordinaires, autant Reinhard le goupil sonne terriblement faux. Dans un Berlin encerclé, un pilote qui ne pense qu’à balancer des chocolats par-dessus bord pour les enfants ? Hans Kammler, ponte des SS et directeur du projet V-2, qui a justement une fille juive ? Des gamins qui vivent en société secrète, nazie, au milieu même de la ville ? Désolé, mais on peine à y croire.
Et comme, par ailleurs, Marvano commet l’erreur de placer au milieu des planches de longs récits historiques, avec toute la subtilité des pages stratégiques des premiers Buck Danny, ruinant ainsi le rythme de l’histoire, ce second tome laisse un goût amer dans la bouche. On est très, très loin de la qualité de La guerre éternelle ou des Sept nains, et la déception est proportionnelle.
Espérons de tout cœur que le troisième tome, Deux enfants de roi, renouera avec l’excellence du précédent.
Franck Mée
Grand format, 52 planches
Les albums de la série Berlin
Les trois albums de cette série sont réunis dans un volume unique.