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Bernard Marck

Philippe Boulay

Notre photo : Bernard Marck à Sceaux le 9
février 2013. Cliché Philippe Boulay


En février 2013, à l’occasion de la récente parution de la biographie de Saint-Exupéry en deux volumes (coup de cœur 2012), Philippe Boulay rencontrait l’auteur, Bernard Marck. Les aléas de l’édition nous ont amenés à prendre du retard, mais le récit de cette entrevue n’en conserve pas moins toute sa saveur.

Bonne lecture.

Philippe Ballarini


Bernard Marck n’est évidemment pas un inconnu pour les familiers de l’Aérobibliothèque. Sa plume sensible et précise, son regard aigu, sa bibliographie pour le moins consistante ont de quoi fasciner le lecteur. D’autant qu’il est membre de ce cercle restreint d’individus qui, dans la case « Profession » des formulaires, peuvent se permettre d’inscrire la mention « écrivain »… Bernard Marck fait un des métiers les plus fantasmatiques qui soient, donc l’un des plus complexes. Mais qui est l’homme derrière l’écrivain ? Comment est-il venu à écrire sur les hommes volants et leurs machines ? Comment, d’ailleurs, en vient-on à écrire des ouvrages aussi exigeants, et imposants, qu’un dictionnaire ou une Histoire de l’aviation, ou à se frotter à l’art malaisé de la biographie ?

Diplômé de l’École Supérieure de Journalisme de Paris après des études littéraires, c’est à la rédaction de l’Aurore que Bernard Marck a fait ses débuts, avant de rejoindre la presse spécialisée pour travailler à la rédaction en chef dans plusieurs périodiques, aux thématiques pour le moins variées : l’environnement, la bijouterie-joaillerie… Il a collaboré régulièrement au Monde, à Science et Vie hors-série et à l’Encyclopedia Universalis, et a même cofondé un magazine professionnel sur les déchets. Puis il se dirigea vers l’aéronautique. Longtemps correspondant en France de Flight International, rédacteur en chef d’Aéroports Magazine pendant neuf ans, il s’est aussi occupé de la communication du groupe des équipementiers du GIFAS, avant de se consacrer complètement à ses livres.

Il n’est pas difficile de rencontrer Bernard Marck. D’emblée chaleureux, il sait se rendre accessible ; il suffit d’ajouter une voix et un regard qui sourient, une belle culture, une expression riche mais sans fioriture inutile, et l’on se sent en compagnie. Déjà, sur le chemin du bistrot sympa où l’on va dîner, il raconte avec une sorte d’émerveillement presque juvénile les traces de l’Histoire que nous croisons : le parc où se trouvait ― « juste là, à cet endroit » ― une des premières gares de chemin de fer, l’immeuble dans lequel était l’imprimerie de Bibi Fricotin et des Pieds Nickelés… Plus loin, un lustre ancien en forme de montgolfière… L’Histoire a une grande place chez Bernard Marck ; son enfance a été déterminante en la matière, à travers son oncle historien, qui laissait traîner des magazines spécialisés, des livres… Mais aussi par la chronique familiale que lui racontait son père. Une chronique liée intimement à l’Histoire de Montmartre, à travers un aïeul marchand de vins qui y avait ses affaires. C’est ainsi que notre écrivain aéronautique est aussi un expert, en ce qui concerne l’histoire du cabaret Le Chat Noir. Et le livre est en gestation, depuis longtemps…

Mais ne nous y trompons pas. La passion de fond de cet homme, qui se promène, observe le monde avec acuité et aime partager sa promenade, c’est ce qu’il appelle « l’épaisseur humaine ». Voilà qui explique son penchant pour l’écriture de biographies : Bernard Marck est avant tout passionné par les gens, donc par les plus extraordinaires d’entre eux… Mais il n’en revendique pas moins une certaine distance quant à l’évènement ; la nécessaire réserve de l’historien ?

Et l’écriture, justement : une autre passion ? Plus encore : c’est un besoin, qui ne le quitte pas. Constamment pourvu d’un carnet ― il en consomme des quantités ― , il note des idées qui passent, des descriptions… « J’écris, j’écris, j’écris… », dit-il. Écrire… Mais c’est la potentialité d’être lu ! De communiquer avec le monde… Alors c’est comme ça, qu’on devient écrivain ? Pas tout à fait… Comme chez ses confrères il y a chez Bernard Marck un imaginaire particulièrement riche, mais aussi la liberté qui lui a été offerte, enfant, de le laisser s’exprimer… « J’ai eu une enfance heureuse, protégée ; entourée de toutes sortes de livres. J’ai commencé à lire très tôt, et en fait je me créais des univers. Mes copains, d’ailleurs, ne me connaissaient qu’avec un livre à la main ou à essayer d’écrire ». Car si l’aéronautique, évident objet de passion, est devenue son thème majeur, loin en amont il y a cet appétit d’écrire, devenu incoercible à l’adolescence. Il raconte : « Ma famille voulait m’orienter vers l’enseignement de l’Histoire, mais j’avais surtout envie d’écrire des livres. C’était la question que je me posais quand j’avais quinze ans : est-ce que je pourrais écrire un livre… Mais mes parents me disaient que je ne gagnerais pas ma vie, et puis un livre, c’est long… C’est comme cela que j’ai pensé au journalisme écrit. Je me disais : je serai dans une rédaction, avec des gens comme moi. Je m’intéresse à des tas de choses, alors j’écrirai sur des sujets divers, qui me plaisent bien… C’était un peu simpliste, comme espoir, hein ? »

C’est en tout cas ainsi que Bernard Marck se retrouva stagiaire (non rémunéré) à l’Aurore. Il y resta deux ans, à fabriquer des brèves, et y a croisé entre autres le talent déjà évident d’un nommé Pierre Desproges… Ensuite, ce furent les premiers postes de rédacteur… S’il a aimé ce métier ? Et comment ! « On apprend tout le temps, et il y a si peu de métiers qui permettent de voir autant de choses, de rencontrer des gens dans tous les milieux… »

Mais au fait… L’aéronautique, dans tout ça ? C’est venu comment ? Il sourit : « Très simplement ; notre maison familiale était à Limeil-Brévannes (1) , les avions d’Orly passaient au-dessus de notre maison, et nous avions beaucoup d’équipages d’Air France dans le voisinage. Mon père a même été fiancé à la nièce d’Henri Guillaumet ! Et moi j’ai été en classe avec sa petite nièce, sans le savoir… J’ai aussi eu un camarade de classe dont le père a fait le premier vol en 707 sur Rio, en 1957. Et notre camarade était parti avec lui et nous a raconté… Alors… J’ai des photos où je suis haut comme ça, à Orly ; il y a la barrière et on voit les B-17 réaménagés, et les Constellation. Pour moi c’était le rêve. J’entendais cette pulsation… Ça ne m’a pas empêché de me jeter par terre de peur, chez le dentiste où je me trouvais, quand est passé le premier 707 ! Tellement il faisait de bruit, cet avion, à l’atterrissage… Ce sont de petits souvenirs, tout ça… Il n’y a rien d’extraordinaire. J’ai piloté, aussi, mais très « légèrement » ; je dois avoir quelques 150 heures de vol au manche ».

Le premier livre (2) ? Un « travail de frustration », dit-il. Au cours de ses activités de correspondant pour Flight International, il pouvait observer le milieu, rencontrait de nombreuses personnalités du domaine, et commençait à détenir un gros volume d’informations qu’il aurait bien aimé développer, en particulier sur certaines affaires de pots de vin dont on parlait à l’époque. Or Flight ne souhaitait pas publier de dossiers sur ce genre d’affaire, mais ne s’est pas opposé à ce qu’il publie un livre sur ce sujet. Bernard Marck pense que c’est cet ouvrage qui lui a montré ce qu’il devait faire dans le domaine de l’écriture. Un livre de journaliste, en tout cas, comme le suivant, qui parlait des métiers de l’aéronautique(3). Son troisième livre était déjà une biographie ; celle, très remarquée, de Jean Mermoz. Paru en 1986, réédité en 2003, cet ouvrage (4) a reçu le Prix Spécial de la Gendarmerie l’année suivante. Puis ce furent Les aviatrices, aux Éditions de l’Archipel en 1993, puis sa monumentale Histoire de l’Aviation (5), et une bonne dizaine d’autres ouvrages…

Auteur fécond, Bernard Marck ? Il relativise : « C’est un métier difficile, si on le range dans la catégorie des métiers, parce qu’il faut écrire beaucoup, beaucoup, sur plusieurs années, pour gagner un petit peu. Il faut donc écrire plusieurs livres en même temps pour avoir des avances, qui permettent de tenir jusqu’à la prochaine avance… Et puis en France, les auteurs ne sont pas protégés. En cas de problème de santé, on paie plein pot… »

Et il poursuit, non sans humour… « C’est un métier, donc, où l’on a souvent affaire aux huissiers, aux impôts, à la Sécurité Sociale… Bon. Alors on écrit des lettres… Il y a eu des gens qui ont rigolé ; Il m’est arrivé, quand j’écrivais aux administrations, d’être tellement absorbé par mon travail que récemment, par exemple, j’ai écrit des lettres qui étaient datées de 1912. J’étais presque sur le Titanic (6) ! J’étais complètement dedans… »

Et le dictionnaire (7) ? Le visage s’éclaire derrière la barbe poivre et sel, et l’œil brille à nouveau… « Ah… Le dictionnaire… Ça a demandé sept ans. Pas de vacances, tous les jours, seize heures par jour. Chaque jour je passais une heure et demie à redémarrer, intellectuellement, parce qu’il y avait plein de relations, de synergies entre les entrées, il fallait que je fasse gaffe… Mais le livre est là, et c’est un vrai dictionnaire. Il y a des gens qui m’ont dit que je n’avais pas pu le faire tout seul, que d’autres personnes m’avaient aidé. Oui… Il y en a eu 11 000, au moins. Dans le monde ! Tous ceux qui m’ont envoyé des informations… Et vous savez… J’ai racheté les droits ! »

Nous en sommes au café ; en fait, l’interview est terminée depuis longtemps ; on bavarde… La soirée s’est avancée, il va falloir prendre congé. En quittant Bernard Marck, on a évidemment l’impression d’avoir oublié plein de choses, de n’avoir guère fait qu’effleurer un sujet dont la richesse évidente a quand même de quoi faire rêver… Et finalement, d’avoir soulevé un coin du voile. Le petit garçon curieux et réfléchi de Limeil-Brévannes a tout de même fait un sacré parcours…

Philippe Boulay


(1) dans le Val de Marne, à quelques kilomètres dans l’Est de l’aéroport d’Orly

(2) Dassault, Douglas, Boeing et les autres… La guerre des monopoles. Chez Jean Picollec, 1979

(3) Les métiers de l’Aéronautique, aux éditions Marcel Valtat, 1982

(4) Il était une foi Mermoz, Éditions Jean Picollec

(5) Histoire de l’Aviation, réédité en 2012 chez Artaud

(6) Titanic, l’instinct de vie, chez Flammarion, 2012

(7) Dictionnaire universel de l’aviation


Quelques livres de Bernard Marck dans l’Aérobibliothèque