Les années trente virent le développement d’un nouvel usage de l’aviation : l’appui tactique des troupes au sol, en particulier par les appareils de bombardement en piqué. Il n’y avait aucune raison pour que les Soviétiques ne s’y intéressent pas de près… et que Herbert Léonard n’explore le sujet. Le verbe « explorer » est le mot juste, car notre spécialiste en aviation soviétique n’a pas manqué de se retrouver face à une assourdissante profusion. Pour notre plus grand bonheur, il a une petite manie : un goût certain pour l’exhaustivité. C’est ainsi qu’outre les incontournables Pe-2 qui se paient bien évidemment la part du lion, on voit traiter ici une vaste quantité d’appareils, y compris des « avions de papier » n’ayant pas dépassé le stade de projet.
Organiser un tel ouvrage n’a sans doute pas été une sinécure et le mérite de l’auteur est grand d’avoir su mettre de l’ordre dans un sujet qui aurait aisément pu tourner au fatras. Un rapide survol de la table des matières nous éclaire : les deux tiers de l’ouvrage traitent de l’inévitable Petliakov Pe-2 et de des multiples développements, le second chapitre abordant plus d’une dizaine d’autres programmes, de Arkhanguelski à Yakovlev en passant par Beriev (déjà !), Kourbala ou Polikarpov.
S’il fallait brosser une portrait actuel de Herbert Léonard, il faudrait préciser que s’il dispose des compétences nécessaires pour évoquer (et expliquer) nombre de détails d’ordre technique, il n’entre pas dans la catégorie des « compteurs de rivets ». En revanche, il serait visiblement en mesure de rédiger un mémoire sur les vicissitudes du régime soviétique et leurs conséquences sur la production aéronautique, la doctrine d’emploi et l’utilisation en opérations. Et dans ce registre-là, l’URSS regorge de matériau !
Herbert Léonard nous fait comprendre, au fil du livre, l’extravagante intrication du politique — voire de certaines rivalités — et du développement des appareils. On m’opposera que ce n’était guère une spécificité soviétique, mais force est de reconnaître qu’en URSS, cela a pu atteindre des sommets ! D’emblée, dans son avant-propos et son introduction, l’auteur fournit des clés pour la compréhension de l’ouvrage, que ce soit au sujet du choc que fut la Guerre d’Espagne, du développement dans toutes les nations aéronautiques d’une aviation d’attaque au sol et de bombardement en piqué, et surtout de l’invraisemblable climat politique de l’époque stalinienne et des retentissements (fâcheux) sur l’aviation de combat.
Nous nous retrouvons en présence d’un ouvrage qui nous paraît fort complet, où domine un ton narratif sans lequel le sujet pourrait devenir ennuyeux. C’est précisément ce sens d’une histoire d’avions abordée sous toutes ses facettes (politique, humaine, technologique, stratégique…) qui permet à Herbert Léonard de nous livrer un ouvrage vivant… et passionnant.
Voilà donc pour le ramage. En ce qui concerne le plumage, l’auteur et son éditeur (E-dite) ont semble-t-il su trouver une solution judicieuse. Un tel sujet, en particulier accompagné d’une iconographie imposante (photos d’époque, plans de l’auteur, vues de détail, profils couleur de Vincent Dhorne), était un bon candidat pour un livre relié en grand format, sur papier glacé, avec couverture rigide pelliculée… mais son prix aurait alors très largement passé la barre des 50€/60€. L’aviation d’assaut n’ayant pas, aux yeux du public, le même lustre que la chasse, il y a gros à parier qu’un tel opus se serait mal vendu. En utilisant un papier offset 90g, l’éditeur a contourné la difficulté : l’ouvrage n’a certes pas l’éclat d’un livre sur papier glacé, mais il se manipule avec plaisir, de même que les illustrations sont reproduites de façon tout à fait satisfaisante, ceci à un prix bien plus abordable.
Au final, nous nous retrouvons avec un ouvrage réussi et complet, fort bien illustré, enrichi de hors-texte pertinents chaque fois que c’est nécessaire. Une présentation trop flatteuse d’un ouvrage pouvant paraître suspecte de flagornerie, nous émettrons un regret : nous aurions aimé, dans un sujet aussi complexe, disposer d’un index des noms cités. Que cette remarque, qui n’est peut-être que le reflet d’une vieille manie, ne porte pas ombrage à un livre aussi sérieux que passionnant… et que l’éditeur parvient à proposer à un tarif très raisonnable au regard de son contenu.
Philippe Ballarini
372 pages, 16,5 x 24 cm, broché