Tout comme les trois mousquetaires étaient quatre, ce quatrième volume clôt la trilogie entamée par cet auteur régional en 2000 avec son premier ouvrage « La région de Thérouanne au cœur des constructions allemandes ». Initialement prévu comme un chapitre du second livre, Rely – un aérodrome en guerre devint un livre à part entière, publié en 2003, suivi en 2006 de Crashs sur le Pas-de-Calais 1940-1945.
Avec une régularité de métronome, ce livre de 280 pages (plus un encart couleur central de 16 pages) couvre le quart sud de St Omer, englobant des villes comme Lumbres, Fauquembergues, Fruges et Aire-sur-la-Lys. Comme les précédents, ce secteur du Pas-de-Calais accueille à partir de l’été 1943 une série de constructions spéciales allemandes, destinées à frapper l’Angleterre avec les armes de représailles : bombes volantes V1 et missiles balistiques V2.
L’auteur s’est attaché à retracer, avec force détails, la campagne alliée contre ces sites V, et son triste corollaire que nous connaissons depuis sous le terme de « dommage collatéral », puis la campagne des armes V à partir de juin 1944, et son pourcentage d’échec qui va également frapper la population locale, déjà durement éprouvée.
Il faut bien le dire, le livre de Hugues Chevalier atteint la limite supérieure possible dans l’auto-édition. On y trouve les défauts et les avantages inhérents à ce type de publication. L’auteur s’investit totalement. Parmi les points négatifs relevés, on peut regretter çà et là quelques erreurs de syntaxe, le style de certains phrases, des répétitions (mais sur un tel sujet, difficile de l’éviter, et les efforts de l’auteur pour y pallier n’en sont que plus méritoires), quelques maladresses qu’on excusera facilement, et le grand écart entre certains documents réalisés à la dernière minute comparés à d’autres particulièrement élaborés. C’est le paradoxe du livre dans lequel une infime fraction (disons 2 % des plans ou photos) détonne par rapport à l’extraordinaire infographie de Yannick Delefosse. De même, l’iconographie est particulièrement riche et étonnamment variée, illustrant les infrastructures à diverses périodes de leur existence, les raids, les combattants, les témoins, les matériels (avions, V1, bombes), les destructions. De fait on regrette d’y trouver des images de Dornier Do-17 ou de Heinkel He-111 anachroniques pour 1944. On avance dans la lecture et on est subjugué par le travail accompli, la qualité des illustrations et des plans tant et si bien qu’un document de moindre qualité se remarque immédiatement.
Ces petits défauts ne sont rien au regard du colossal labeur entrepris par Hugues Chevalier. Il a travaillé selon plusieurs approches : chronologiquement, thématiquement, géographiquement. L’entrée en matière est directe, l’auteur n’ayant pas recherché la caution d’un nom célèbre pour rédiger une préface. Il s’appuie sur un examen approfondi de nombreuses archives, locales, départementales et nationales. Il en a à la fois publié des extraits, et a synthétisé par dans des tableaux les informations à condenser. Une simple liste a nécessité de nombreuses heures à compiler, travail de bénédictin à l’opposé de la mode actuelle du « copier-coller ».
Il s’est en outre appuyé sur les archives alliées consacrées à l’opération Crossbow : compte-rendu de missions britanniques ou américaines, organisation détaillée des raids, analyses des résultats obtenus via les photographies aériennes. C’est ainsi qu’il a procédé à des analyses croisées rigoureuses, et qu’il démontre de cette manière les erreurs des bombardements alliées, erreurs pouvant aller jusqu’à plus de 20 kilomètres ! Il est ainsi le premier à mettre en lumière de telles corrélations. Photographies aériennes et cartographie des points de chute de bombes apportent du poids à ses mots.
Puis, et c’est à mon sens la grande force du livre, il utilise des archives allemandes qui détaillent les tirs de V1, et là encore parvient à montrer la correspondance entre ces documents rares, voire inédits, les témoignages des français et la défense britannique, et ce jour par jour à partir du déclenchement de la campagne.
Chacun y découvrira des faits nouveaux, que ce soient par exemple les ballons offensifs, les leurres S800, les chutes de V1 sur le sol français (environ 10 % du total tiré), les problèmes d’approvisionnement en bombes volantes, la destruction des rampes et celle du patrimoine local, le plus infortuné exemple étant le château de Radinghem. Le stoïcisme de la population est également mis à l’honneur, comme il le mérite. On découvre des familles durement touchées, et Hugues Chevalier a réussi le tour de force d’humaniser son récit, et d’éviter l’écueil d’un livre par trop technique ou élitiste. L’auteur a su également rester critique dans l’analyse et la comparaison des nombreuses sources écrites et orales.
On ne lit pas ce livre comme un roman, car il faut littéralement digérer les innombrables données qu’il renferme. Il faudra aux lecteurs de nombreuses soirées pour en venir à bout. La réalisation d’un index des noms de lieux est d’un indéniable intérêt : il est facile de retrouver un passage en suivant la chronologie des faits ou grâce à cet index. C’est donc un livre que je recommande chaudement à celles et ceux qui s’intéressent à la guerre aérienne au sens large, aux bombardements, aux armes V, ou encore à l’histoire récente du Pas-de-Calais. Ses petits défauts en partie générés par son mode de production sont très favorablement contrebalancés par d’immenses qualités en matière de recherche, de travail, d’analyse et d’illustration.
S’il conserve ce rythme, que publiera Hugues Chevalier en 2012 ?
Jocelyn Leclercq
300 pages, 21 x 29,7 cm
cahier couleur de 16 pages
1,338 kg
420 photos, 20 plans, 50 tableaux et schémas explicatifs