Après un volume consacré aux bases aériennes de Salon de Provence et Metz-Frescaty, les prolifiques éditions Privat nous gratifient d’un nouvel album à l’italienne particulièrement attrayant pour qui s’intéresse à l’histoire de nos différentes bases et à leurs unités. Brétigny sonne davantage à notre esprit avec « CEV » qu’avec « base aérienne » tant il est vrai que cette commune de l’Essonne évoque essentiellement pour une majorité de passionnés d’aviation les multiples essais en vol qui s’y déroulèrent après la Seconde Guerre mondiale, avec le renouveau des ailes françaises.
Le chapitre premier intitulé « Un site propice à l’aéronautique 1921-1939 » montre que si Brétigny-sur-Orge est voisin de l’illustre aérodrome essonnien d’Étampes, sa propre vocation aéronautique ne débute qu’en 1938. L’école de pilotage d’Orly y est transférée en 1940 et connaît son lot d’accidents. Déclaré « base aérienne d’opérations » le 1er juin 1940 et mis en défense « sans délai » (il était temps !) deux jours plus tard, Brétigny est bombardé puis occupé par la Luftwaffe qui procède à des aménagements importants et y stationne plusieurs unités. À la Libération, les prélèvements de matériaux par les civils démunis achèvent de dépouiller l’aérodrome qui a subi de nombreux bombardements alliés, non sans victimes dans la population civile de Bondoufle voisine. Cette brève parenthèse guerrière refermée, le chapitre deux (« Un lieu d’expérimentation et de soutien 1940-1976 ») développe ce qui fut en quelque sorte l’ADN de Brétigny après la Seconde Guerre mondiale : la recherche et l’expérimentation, avec l’arrivée en 1945 du Centre d’Essais en Vol (CEV) de Marignane puis de l’Office National de Recherches Aérospatiales (ONERA) l’année suivante. En 1946, l’école du personnel navigant d’essais du CEV devient l’École du Personnel Navigant d’Essais et de réception (EPNER), un acronyme appelé à devenir célèbre lui aussi. En 1957, le Laboratoire Médico-Physiologique (LMP) s’installe à Brétigny qui n’a finalement de « base aérienne » que le nom, car affectée au CEV à titre « principal et exclusif » dès l’après-guerre : les militaires n’y sont pas majoritaires et les imbroglios administratifs y sont réguliers. Cela n’empêche pas que son nom soit associé à des records et des exploits aéronautiques tels ceux de Jacqueline Auriol (franchissement du mur du son en 1953, record du monde de vitesse en 1955), des essais de matériels aériens tantôt oubliés, tantôt emblématiques (le premier avion à réaction français SO-6000 Triton, le premier hélicoptère français SE-3101, les premiers essais français de sièges éjectables réalisés au sol et en vol, etc.) mais aussi (p. 60) « portant sur des domaines variés et parfois inattendus […] sur un simulateur dans le domaine hippique, l’étude de facteurs de charge subis par les passagers du TGV ou des essais de glissance sur Mercedes… » Et de « glissance » il est notamment question avec le fameux test de la « piscine », l’ingestion d’eau par les réacteurs d’un avion roulant sur la piste préalablement inondée. En 1961, le Centre National d’Études Spatiales (CNES) s’installe sur le site (réalisation du lanceur civil Diamant en prélude à la famille des fusées Ariane) puis Eurocontrol en 1964 (recherches dans le domaine du contrôle du trafic aérien). En 1976, la Base aérienne 217 de Brétigny voit le jour dans les anciens locaux du CNES parti vers Toulouse et reçoit en 1980 le nom de baptême de Félix Brunet, lequel fait à lui seul l’objet de seize pages, tant il est vrai que ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Indochine est le véritable initiateur de l’hélicoptère de combat et de l’aéromobilité spectaculairement montrée ensuite dans les films made in USA sur la guerre du Vietnam. Le début du XXIe siècle voit le départ du CEV vers Istres et Cazaux, mais aussi une réorganisation importante de la nouvelle base vers la Défense nationale : (chapitre trois « La BA 217 au service de la Défense nationale (1976-2012) » p. 102) « L’un des enjeux est de parvenir à créer un esprit de corps au sein de la base malgré la multiplicité des unités et la division géographique des sites ». De fait, la liste de ces unités peu spectaculaires et donc méconnues est longue : commissariat de l’armée de l’Air, gestion informatique, gendarmerie de l’Air, le Bureau Enquêtes Accidents Défense Air (BEAD), etc. En 2007, la fermeture de la quatrième piste de France par sa longueur marque le chant du cygne pour Brétigny, qui clôt ses portes en tant que base aérienne en août 2012. « Néanmoins, le site qui a tant apporté à l’aviation et à l’espace, demeure, poursuivant la même vocation de recherche militaire dans le domaine médical (IRBA) mais aussi agronomique (INRA) ».
Pour ceux qui comme nous ne connaissent guère l’histoire générale du site de Brétigny-sur-Orge, cet ouvrage vient à point nommé en complément d’une littérature déjà abondante et consacrée exclusivement au CEV ou à ses hommes (et notamment à Louis Bonte) et ses avions. Comme l’indique le dernier commandant de la base aérienne 217 dans sa préface, « Cet ouvrage, résolument tourné vers l’histoire, a été fait en pensant aux passionnés d’aéronautique, mais surtout aux personnes qui ont servi sur ce site, souvent un peu tristes de le voir se tourner vers des activités différentes de celles qu’elles y ont connues. Il ne cherche pas l’exhaustivité : c’est un carnet de souvenirs ». Le texte sobre de Natacha Eijckmans (enseignante en histoire et géographie à l’établissement pénitentiaire de Fleury-Mérogis, également officier de réserve de l’armée de l’Air) est bien secondé par une reproduction et une mise en page sans reproches des nombreuses photographies ou plans : l’ouvrage plaira aux Brétignolais, à ceux qui les ont côtoyés ou aux amateurs de l’histoire de nos différents terrains d’aviation.
Georges-Didier Rohrbacher
144 pages, 30 x 24 cm, relié
– Sous la direction du colonel Olivier Fabre