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Callixte

Franck Mée


Nous présentons nos excuses à Callixte, Franck Mée et à nos lecteurs pour l’important retard avec lequel nous publions cette interview.

Callixte vient de publier Le vol du Concorde, troisième tome d’une série d’aventures aéronautiques de facture volontairement classique et fort agréable. Nous l’avons rencontré lors du meeting de la Ferté-Alais.

Franck Mée : Nous vous avons découvert avec Gilles Durance, une série prometteuse, surtout que c’est votre première.

Callixte : Euh, c’est la première série où je fais moi-même le scénario, mais j’ai fait des choses avant ! J’ai commencé comme illustrateur et coloriste, puis j’ai participé au dessin des Enquêtes de Margot, et j’ai dessiné une histoire en deux albums, sur un scénario de Michel Kœniguer justement, Eightball Hunter.

FM : Donc, pas du tout un débutant, c’est juste votre première série en solo. Merci pour la correction ! Gilles Durance rappelle un peu les séries classiques des années 70, c’est une volonté pour coller à l’époque où se déroule l’histoire ?

C : J’ai eu envie de raconter des histoires depuis tout petit, je crois qu’à trois-quatre ans je dessinais déjà des histoires. Après, j’ai beaucoup lu la bande dessinée franco-belge classique, ce qui paraissait dans Spirou et Tintin, et j’avais envie de retrouver cette ambiance. C’étaient des héros libres, un peu mercenaires, qui improvisaient tout le temps. Je voulais raconter des aventures.
En fait, au départ, Gilles Durance était un espion, bien avant de devenir aviateur. Et puis j’ai lu la biographie d’un pilote de B-25 au Biafra. J’ai trouvé cette histoire passionnante, j’y ai intégré mes propres personnages.

FM : Finalement, malgré son style de BD d’aventures pour jeunes, vous restez assez fidèle à la réalité historique.

C : Oui, je préfère trouver des histoires peu connues et les raconter aussi fidèlement que possible. Pour le tome 2, Catalina mon amour, je traitais d’un sujet sensible, les essais nucléaires en Polynésie, je ne pouvais pas me permettre d’approximations et j’ai passé quatre mois et demi à me documenter pour avoir une vision assez globale de l’Histoire. Et puis, de manière générale, dans la collection Cockpit, on sait qu’on a des lecteurs très pointilleux, donc il faut faire attention aux détails, aux immatriculations, etc. Être précis offre aussi des anecdotes assez sympa : c’est un lecteur de Santiago du Chili qui m’a contacté pour me dire que le Catalina 32, celui des Chevaliers du ciel, était stocké à l’aéroport à côté de chez lui !
Après, j’aime jongler entre les aventures « fun » et le réalisme historique. Il y a un côté « fan service » à dessiner des choses originales, comme l’Antonov An-6, c’est un avion original et je trouvais ça amusant d’imaginer que pour développer un supersonique, on puisse utiliser cet avion très rustique et très lent. Pareil pour le « terrain de montagne » en bord de mer…

FM : Oui, d’ailleurs il y a une erreur sur la carte VAC, et l’aéroport n’existait pas en 69 !

C : Oui, il n’y avait sûrement pas de VAC. En revanche, il y avait une piste, j’ai des photos de l’époque ! En fait, quand ils ont fait l’aéroport dans les années 70, ils ont dû aménager une piste de brousse qui existait déjà. Ceci dit, cette séquence n’était pas prévue au départ, j’avais une autre histoire à cet endroit, où ils faisaient voler le Catalina sur un moteur, j’ai vu qu’ils faisaient ça pour économiser l’huile. Et puis un copilote de Catalina, qui avait vu Catalina mon amour dans la liste « à paraître » de Paquet, m’a contacté pour me demander si je voulais des informations sur l’appareil. Et sur cette séquence, il m’a dit qu’ils ne le faisaient que sur les très, très longs vols, dix ou quinze heures au moins, pas sur une liaison entre deux îles ! Du coup j’ai dû trouver quelque chose pour refaire ma planche, et ce terrain « de montagne » au ras de la mer, c’était trop tentant !
Je ne suis pas un aviateur : j’habite dans le Cantal, un département où il n’y a quasiment pas d’aérodrome, le plus proche doit être à Saint-Flour, c’est déjà loin ! Du coup, je fais parfois des erreurs. Romain Hugault [directeur de la collection Cockpit, NdlR] m’a fait corriger beaucoup de choses dans les premiers albums, et j’ai beaucoup appris sur les principes de base du vol d’un avion, comment ça se pilote, etc. Il n’a pas trouvé autant de choses à dire sur Catalina mon amour, c’est bon signe ! Mais j’ai quand même dû refaire une case au début, à l’arrivée à Moscou. Il m’a dit : « non, regarde où ils sont, ils vont là, ils doivent être à telle altitude, tu les as dessinés trop haut » !

FM : Tu écoutes beaucoup les retours donc ! Déjà, quand on s’était croisé deux minutes l’an dernier, je t’avais dit que j’avais beaucoup apprécié que les femmes aient un vrai rôle dans le deuxième tome, t’avais éclaté de rire en me disant que c’était justement de ma faute…

C : Oui, tout à fait ! C’est en lisant ta critique que je me suis dit qu’il fallait effectivement leur donner plus d’importance. Et en même temps, j’ai eu des retours de femmes qui me demandaient de les rendre un peu plus sexy ! Ça a été un équilibre à trouver pour le deuxième tome : plus de maillots de bain, mais un rôle plus important ! Après, on ne va pas aller trop loin dans cette direction non plus. Romain n’a pas pu avoir certaines campagnes de pub, notamment les abribus, à cause des femmes trop déshabillées.

FM : Le texte est parfois un peu dense et les récits plein de rebondissements, tu as envisagé de faire des récits sur deux ou trois albums, comme Buck Danny le faisait de temps en temps ?

C : En fait, d’une part je veux conserver un côté aventures à rebondissements, où il se passe toujours quelque chose, où on n’a pas le temps de s’ennuyer, comme dans les BD classiques. Ensuite, je tiens au rythme d’une histoire complète par album. Je fais un album par an, je ne veux pas dire à mes lecteurs : « et ben vous avez plus qu’à m’attendre un an ! » Je veux que chaque album puisse être lu indépendamment. Même si le tome 4 sera évidemment la suite du 3, il se déroulera dans un cadre complètement différent, avec les tensions entre la Russie et la Chine sur l’île Damanski !

FM : D’ailleurs, le tome 3 se termine… Attends, je vais spoiler personne ? Le tome 3 se termine sur un gros changement pour Gilles, qu’on voit ivre et mal rasé alors qu’il était toujours propre sur lui, fort et infaillible. C’est un plaisir d’auteur de déglinguer un personnage ?

C : Un peu, oui ! (rire) En fait, c’est vrai qu’on est parfois frustré de pas montrer toutes les facettes des personnages, et je veux pas tout le temps faire un type irréprochable genre Buck Danny. C’est plus intéressant de le faire évoluer un peu !

FM : Et avec un album par an, tu arrives à en vivre ou tu as encore un autre travail à côté ?

C : Aujourd’hui, j’en vis. Bon, pas très bien, même pas un SMIC, mais c’est mon occupation à plein temps. Ceci dit, c’est une des raisons pour lesquelles je suis revenu à la plume, après avoir fait le premier album entièrement à la tablette graphique : ainsi, j’ai des originaux à vendre !
Ça n’est pas la seule raison, évidemment, je me suis aussi aperçu quand j’ai vu les tirages publicitaires pour Le bombardier blanc que je zoomais beaucoup trop sur l’ordinateur. Sur une bâche de 4 m de large, c’était encore très détaillé ! En fait, on se rend pas compte, sur un écran on peut agrandir à volonté, on se retrouve à dessiner des détails qui ne servent à rien pour l’album. L’ordinateur pousse aussi à toujours reprendre : c’est facile d’effacer un trait pour le refaire dix fois. La plume autorise les imperfections et permet de mieux voir ce que ça va donner dans l’album.

FM : Et pour la suite ? Là on est en 1969…

C : La suite n’est pas arrêtée, on prend album par album. Je sais où sera le prochain, mais pour le cinquième tome j’ai plusieurs idées, je n’ai pas encore décidé, et je n’ai pas de trame à long terme. En fait, la collection Cockpit publie beaucoup d’histoires complètes en trois à cinq volumes, il lui manque une série au long cours, sans fin déterminée, un peu comme Buck Danny par exemple. C’est un peu ce que j’espère faire avec Gilles Durance : la série fonctionne, l’éditeur ne perd pas d’argent, et j’aimerais pouvoir l’installer dans la durée, sur dix, quinze, vingt albums…

Callixte
Callixte

Photo Franck Mée
© Aérobibliothèque

Interview réalisée par Franck Mée pour l’Aérobibliothèque en juin 2017.

 

Photo du haut : © Paquet Éditions