Ce livre a servi de base à la série Masters of the Air qui a été mise en ligne début 2024. Ne vous laissez pas abuser par le sous-titre, si l’histoire du 100th Bomb Group est évoquée en filigrane, il ne s’agit en rien d’un historique détaillé du « centième sanglant », traduction littérale du surnom de ce Group, « the Bloody Hundredth ». Cet opus est surtout l’autobiographie de Harry Crosby, navigateur à bord d’un B-17. Il est l’un des rares rescapés des premiers équipages du Group arrivés en Grande-Bretagne au début de l’été 1943.
L’ouvrage est découpé en 28 chapitres, ce qui lui donne du rythme, avec des titres évocateurs. Le récit est classiquement chronologique, et commence vraiment avec l’arrivée en Grande-Bretagne. Toutes les missions ne sont pas détaillées, seulement les plus marquantes. Ce qui marque le plus, c’est le manque de confiance en soi de l’auteur, une constante tout au long du livre. Pourtant, il est sorti breveté de son école de navigation. S’il aurait pu se sentir dépassé lors de ses premières missions et gagner en confiance avec l’expérience, cela ne semble pas avoir été le cas.
L’importante attrition au cours de l’été et de l’automne 1943 propulse Harry Crosby comme navigateur de tête. Ses qualités sont reconnues par les autres, en total contraste avec son propre ressenti. Puis il est promu chef navigateur du Group, et là encore il ne semble pas comprendre pourquoi.
Plus que l’autobiographie, c’est l’analyse sociologique des personnels navigants, des combattants, qui donne son intérêt au livre. Harry Crosby a ce recul rare, chez les anciens combattants. Il observe avec justesse les comportements entre les « romantiques » et les « néo-classiques ». Sa carrière d’après-guerre dans l’enseignement de la rhétorique n’est certainement pas pour rien dans l’élévation du point de vue qu’il exprime.
La traduction et la supervision aéronautique et historique sont réussies. Bravo à Sylvain Savarin et Iza Bazin. Tout au plus notera-t-on quelques rares erreurs mineures eu égard à la taille du volume, ou la francisation en Est-Anglie qui étonne, tant le nom original d’East Anglia est quasiment toujours utilisé. Il est à signaler que la première édition américaine date de 1993, suivie d’une seconde en 2001 et d’une troisième en 2024, année de la publication de cette traduction. Harry Crosby, qui nous a quitté en 2010 n’aura donc pas connu les suites données à son autobiographie « A wing and a prayer ».
L’iconographie est rassemblée dans un cahier final de 14 pages, et non dans le corps du texte. Elle illustre bien le sujet couvert, mais elle est desservie par le papier de qualité ordinaire, identique à celui du texte, ce qui est vraiment dommage. Quelques présentations graphiques, comme par exemple la formation lors du raid contre Ratisbonne le 17 août 1943, auraient gagnées à être mieux mises en valeur.
En complément du visionnage de la série Masters of the Air, cette lecture permet, avec l’énorme avantage d’être en langue française, de comprendre un peu mieux, et avec un œil différent, l’histoire et le vécu de ces combattants, de ces missions devenues mythiques, ainsi que les relations entre Américains et Britanniques. Assurément une réussite avec ce point de vue atypique, et de l’intérieur.
Jocelyn Leclercq
384 pages, format 14 x 21 cm, couverture souple