CEPA 100 ans d’essais pour l’aéronavale française

Du Farman au Rafale
Claude Pisano

À classer dans la catégorie des « beaux livres », cet ouvrage consacré au CEPA (Centre d’expérimentations pratiques de l’Aéronautique navale) revient sur le passé de l’une des plus anciennes unités de l’Aéronautique navale. Créé en 1916 sur la base de Saint-Raphaël, celui-ci a perduré jusqu’à nos jours, malgré son déplacement vers Hyères en 1995. Le centenaire de l’Aéronautique navale en 2010 donne l’occasion de rappeler le travail effectué par cette commission (c’était son nom jusqu’en 1977), même s’il n’est pas tout à fait juste de dire, comme le titre du livre, qu’elle fête également ses cent ans d’existence.

L’ouvrage présente bien, comme toujours avec cet éditeur expérimenté. Il est abondamment illustré d’images de bonne qualité, et tout au long du livre, le texte est entrecoupé de nombreux témoignages d’anciens, ce qui n’est pas inintéressant.

Dès son avant-propos, l’auteur annonce la couleur ; il est impensable de concevoir un tel livre sans image. Coup de chance, le CEPA/BAN Hyères en conserve de nombreuses et il a suffi à Claude Pisano de piocher dans les fonds ainsi que dans quelques collections privées. Pour le texte ; comme « il est impossible de décrire année après année toutes les activités du Centre », il a choisi une chronologie succincte.

Et cela se voit d’abord dans le chapitre sur les premières années de l’Aéronautique maritime et surtout dans celui consacré à la Grande Guerre, lequel passe directement de l’arrêté de création de la CEPA en septembre 1916, aux essais de décollages du cuirassé Paris en octobre 1918. Comme si la commission n’avait rien fait durant la période ! Mais alors pourquoi limiter ce choix de sobriété au seul début ? Car sur la fin, on a droit à une foultitude de détails (visite du préfet maritime, vols de démonstration en présence du chef du SC aéro, recette de bouées, etc.) ; événements visiblement jugés plus importants que les multiples essais d’appareils et de bombes anti-sous-marins entre 1916 et 1918.

Nous ne sous attarderons pas sur les très nombreuses coquilles (fautes ?), comme le Bellanger-Denhaut qui devient « Ballanger-Denaut » (p.57), le Rohrbach qui devient « Rohbach » (p.85) ou encore le Hurel-Dubois qui devient « Murel-Dubois » (p.108). Quant au Ju 88 de la page 99, il a sans doute été photographié au Luc, plutôt qu’au LVC ! Et j’en passe…

Ce qu’on pardonnera moins, ce sont les erreurs manifestes, faute de vérifications. Cela aurait pourtant évité à l’auteur de se tromper sur l’hydravion Astra-Paulhan qui devient « Astra-Paulman » (p.35 et p.222). De se tromper aussi sur les noms de Jacques Fournié (et non pas « Fournier », p.12), d’Albert Caquot (« Jacquot » à la page 28) ou encore d’Yves Jan-Kerguistel appelé « de Kerguistel » à deux reprises. De même, la liste des premiers pilotes de la Marine (page 12) oublie bizarrement le nom de Louis Byasson (le premier d’entre tous), même si sa photo figure pour rappeler sa mort en 1911 (à Coignières et non pas « au Buc »). Par contre, on y lit le nom du commandant Daveluy, qui n’a pourtant jamais été breveté.

Mais c’est dans les légendes des photographies que cela se gâte vraiment, d’autant que celles-ci sont annoncées comme un aspect important du livre. Dès la page 21, deux portraits (Conneau et Nové-Josserand) se partagent une seule légende (au lecteur de choisir). Puis à la page 24, on est très surpris de voir le Deperdussin de la Coupe Schneider de 1913, identifié comme étant un Voisin LAS type 3 ! Sur le coup, on pense que ce sont des erreurs de mise en page. Mais plus loin (p.34), un Georges Lévy HB-2 (parfois appelé GL-40) devient « Gourdou Lesseure n°40 » (sic), et à la page 38, le Donnet-Denhaut bimoteur devient « DD10 » (appellation qui n’a jamais eu cours dans la Marine). Plus grave encore, un Hanriot-Dupont HD-2 devient « Mannet D2 » (p.35), sans doute parce que le mot Hanriot était mal écrit sur le document d’origine. Et plus loin encore (p.57), on voit un Macchi italien présenté comme étant un « Bonnet-Lévêque » (sic). L’une des erreurs les plus étonnantes figure d’ailleurs sur la même page ; on peut y voir un « Farman 165 » sous grue, alors que sa dérive indique clairement qu’il s’agit d’un F-168 (c’est écrit dessus… comme le Port-Salut).

Qu’on se trompe dans les types d’appareils, cela peut arriver, même aux meilleurs, car il est vrai que la Marine a utilisé de nombreuses machines souvent peu connues, surtout au cours de ses premières années. Mais les erreurs chronologiques grossières sont particulièrement agaçantes, car cela peut-être aisément vérifié. Ainsi des Gourdou-Leseurre (et non pas « Lesseure ») GL 812 sur catapultes sont datés de 1917, alors que ces essais ont eu lieu… en 1932 ! De même, un Gourdou-Leseurre L-3 ne peut avoir été catapulté en 1919. Quant au Loire-Nieuport LN 401 (p.68), il apparaît ici dès 1925, et le Dornier 24 dès … 1921 ! Et ce ne sont que quelques exemples. Car les erreurs chronologiques vont aussi dans l’autre sens. À la page 67, on peut voir un FBA type C présenté « en 1925 », alors que les derniers ont quitté les rôles de la Marine en 1922.

Notons aussi que la marque de moteurs Rotat (p.67) n’existe pas, et qu’il s’agit plus sûrement d’un moteur rotatif, c’est-à-dire tournant sur son axe. J’en passe, car cet article n’y suffirait pas. La plus drôle étant sans doute (p.44) les « Panhard et Levassor PL15 » (des Pierre Levasseur !) alignés à Saint-Mandrier « en 1920 », alors que la dite base n’a été créée qu’en 1933 ! Et le tout est entouré de photos de ballons dirigeables, libres et captifs, telle celle montrant un ballon captif Caquot identifié comme un « dirigeable » !

À force, il est vrai qu’on s’y perd un peu… surtout si les appellations sont mélangées. Ainsi, lorsque le dirigeable Zeppelin LZ-121 a été reçu par la France en 1921, il a changé de nom pour devenir Méditerranée. Inutile donc de continuer à l’appeler de son nom allemand (p.62). Inutile aussi de présenter la photo d’un marin allemand dans la nacelle d’observation suspendue (p.61) ; celle-ci ne date sûrement pas de 1924, et n’a aucun rapport avec le Méditerranée qui était un ballon initialement civil.

Bien que mieux renseignée, la seconde partie du livre n’est pas n’ont plus exempte d’erreurs, comme ce LeO 451 (p.102) confondu avec un « MB 174 » (d’ailleurs je ne lui vois pas les hameçons de la Marine). Quant au Nord 2504 de la page 97, il a vraiment une drôle d’allure ! Ne serait-ce pas plutôt un Morane 733 ? Lequel, n’a certainement pas été photographié « en 1945 », mais plutôt vers 1960, comme indiqué page 122 lorsque le même cliché apparaît pour la seconde fois, mais identifié différemment. Notons encore que l’accident (p.98) du lieutenant de vaisseau Nicolle et des maîtres Schuft et Scour, n’a pas eu lieu en 1945 à bord d’un « Glenn Matin 54S », mais en 1946 à bord d’un Glenn-Martin 167 F appartenant à la 10S (et non pas à la 54S comme pourrait le laisser penser cette formulation hasardeuse). On est d’ailleurs, étonné de ne pas voir leurs noms figurer dans la liste des morts en service aérien commandé figurant en annexe (p.221) !

Un rapide coup d’œil sur les sources de l’ouvrage explique bien des choses : « Toute la bibliographie provient des archives de la Marine nationale CEPA/BAN d’Hyères » y est-il inscrit ! Rappelons que les archives conservent des documents originaux et qu’une bibliographie fait référence à des ouvrages (livres et articles) qu’on trouve en bibliothèques. Si l’auteur s’y était un peu intéressé, il aurait appris, entre autres choses, que depuis 1991, l’ARDHAN (Association pour la Recherche de Documentation sur l’Histoire de l’Aéronautique Navale) a publié de nombreux travaux sur le sujet, dont un petit livre intitulé L’Aéronautique navale à Fréjus-Saint-Raphaël (1912-1995) et un autre, [Les aéronefs de l’Aviation maritime (1910-1942)- article50], qui lui auraient été très utiles.

Cette critique est sévère, mais il est aussi très rare de voir autant d’erreurs dans un même livre, de même qu’il n’est plus acceptable aujourd’hui, d’écrire les mêmes sottises qu’avant la création de l’ARDHAN. C’est à cela que doit servir la bibliographie. Ajoutons qu’une relecture plus sérieuse avant le « prêt à tirer » aurait pu éviter bien des désagréments. En tous cas, un erratum s’imposera à l’éditeur pour les exemplaires non encore vendus.

Thierry Le Roy


216 pages, 21 x 29 cm, relié
Préface du CV Joël Juillet, commandant le CEPA (2004-2007)

En bref

Marines Éditions

ISBN 978-2-357-43051-8

40 €