Épuisé
Le jour où Herbert Léonard a décidé de se spécialiser dans l’aviation soviétiques est à marquer d’une pierre blanche. Certes pour le simple motif qu’avant lui, cette histoire était en France un champ en friche, mais également en raison de l’adéquation entre le mode d’approche historienne d’Herbert Léonard et certaines particularités de l’histoire de l’aviation soviétique. Ceci mérite une explication : il existe diverses manières d’aborder l’histoire d’un appareil. Certains auteurs mettent en lumière des caractéristiques techniques ultra-détaillées, d’autres focalisent sur la carrière opérationnelle, d’autres encore insistent sur la genèse et le développement. Même si aucun des aspects précités n’est négligé ici, ce dernier point (primordial à nos yeux) suscite un intérêt certain chez l’auteur.
La genèse et le développement sont sans doute importants, quels que soient l’appareil et le pays de construction, mais ils revêtent un aspect particulier en URSS, où par exemple bien des appareils ont été conçus dans des bureaux d’études pénitentiaires et où plus que nulle part ailleurs le pouvoir politique a joué un rôle primordial dans l’industrie aéronautique. C’est en ce sens qu’il est heureux que Herbert Léonard se soit intéressé (visiblement de près) à l’histoire politique de la Russie et de l’URSS, ainsi qu’à celle, personnelle, des principaux avionneurs, cette remarque étant valide pour l’ensemble de la production de l’auteur.
Herbert Léonard nous avait déjà gratifié d’un ouvrage de même titre, paru chez Heimdal en 1995. Ce volume, copieusement enrichi, n’est pas à considérer comme une simple réédition. Organiser une encyclopédie de cette envergure nécessitait une bonne dose de réflexion. La structure et le découpage sont pertinents, même s’ils ne sont pas tout à fait conventionnels.
Après un chapitre consacré au développement aéronautique en Russie et en URSS, passionnant autant qu’indispensable, on passe à la partie purement encyclopédique avec un volet consacré à la période allant jusqu’à la date fatidique de 1917, laquelle marque la fin de la Première Guerre mondiale pour les Russes et celle de l’empire tsariste. Les constructeurs sont présentés par ordre alphabétique et, au sein de chaque partie, les appareils arrivent par ordre chronologique. La logique du découpage historique nous mène à la période de l’entre-deux-guerres (1917-1938)* selon le même schéma de présentation. Le chapitre « Les nouveaux chasseurs » nous mène de la même manière de 1939 à 1950, moment où sonne le glas des chasseurs à hélice(s), alors qu’un ultime volet, préfigurant la transition vers la chasse à réaction, nous présente un joli bestiaire de dérivés à propulsion mixte avec statoréacteur(s), pulsoréacteur(s), motocompresseur et turboréacteur(s). En clôture d’ouvrage, on trouvera un « album » de photographies des ravages de l’opération Barbarossa sur l’aviation soviétique, ainsi que des photographies d’appareils russes sous d’autres cocardes. Deux pages sont dévolues au TsAGI* et au TsKB** , avec les noms de leurs principaux membres, deux autres aux différents sigles (et ils sont nombreux ), et enfin on appréciera le fait que le sacro-saint index n’ait pas été oublié, parachevant un ouvrage remarquable.
L’amateur non averti, même croyant disposer de connaissances raisonnables en matière de chasseurs soviétiques, sera abasourdi par l’immense variété de modèles présents dans cet ouvrage. Il faut dire que, fidèle à son habitude, Herbert Léonard a tout fait pour être aussi exhaustif que possible ; sont présents les « avions de papier » qui n’ont jamais quitté la table à dessin (et pour lesquels l’auteur a parfois requis le talent de « Xavier Toff »), de même que les différentes variantes (la page 324, par exemple, présente pas moins de 28 variantes du Yak-1b) d’un même modèle.
Vous l’aurez compris, Chasseurs russes et soviétiques 1915-1950 se distingue par une recherche de l’exhaustivité. L’iconographie, d’une grande richesse, se compose essentiellement de photographies d’époque et de nombreux plans de la main de l’auteur. Il ne semble pas manquer un bouton de guêtre à cet ouvrage d’où émane une impression d’équilibre entre le texte, clair et concis, les illustrations (photos et plans) et les indispensables tableaux de caractéristiques techniques. Un seul (tout petit) regret : le « faux cyrillique » en couverture nuit à l’impression de sérieux de l’ensemble. Il est douteux que cela ait été du goût de l’auteur que l’on sait pointilleux sur la translittération.
Plusieurs approches de cet ouvrage sont possibles, de la lecture classique de la page 1 à la page 463 au « picorage » où l’on feuillette pour découvrir des dizaines d’appareils dont on ne soupçonnait pas l’existence, en passant par la recherche précise à partir de l’index. Dans tous les cas de figure, la lecture de l’avertissement de la page 2 est indispensable.
Pour conclure : Chasseurs russes et soviétiques 1915-1950 s’avère un formidable outil où, une fois de plus, l’équipe de chez ETAI a su se mettre à disposition de l’auteur pour un résultat de grande qualité.
Philippe Ballarini
464 pages, 23,5 x 31 cm, relié
* TsAGI (ЦАГИ), Institut Central d’AéroHydrodynamique
** TsKB (ЦКБ), Bureau Central de Construction