La Martinerie, un nom qu’on imagine sorti tout droit d’un roman de Georges Sand ou de Maurice Genevoix, fut celui communément donné au premier véritable terrain aménagé de Châteauroux, vaste plate-forme dont le souvenir s’est quelque peu effacé des mémoires après qu’elle soit passée dans l’ombre de l’aérodrome de Déols, créé en 1936 par le constructeur Marcel Bloch, auquel Didier Dubant avait consacré un précédent ouvrage en 2008.
Si un « terrain d’atterrissage » est mentionné dès 1912 par l’Aéro-Guide à Vineuil, au nord de la ville de Châteauroux, il semble que l’école de pilotage aménagée en 1915 à proximité de la ferme de la Martinerie naisse au beau milieu des cultures, lorsque que la guerre ― qui s’éternise, contrairement aux prévisions ― impose de former à nouveau de nombreux pilotes. Cette école devient au fil des mois l’une des plus importantes du pays, reconnaissable sur les documents de l’époque grâce à un singulier pavillon de bois ouvert à tout vent, qui sert à la fois de bureau de piste ou de lieu d’attente pour les élèves, un pavillon qu’on retrouve en particulier sur une série de toiles peintes par André Busset et conservées par le Musée de l’Air, reproduites dans le magazine Pégase il y a quelques années.
Un fois la Grande Guerre terminée, l’aérodrome ne sommeille que quelques mois avant de d’accueillir l’un des trois régiments de chasse qui viennent d’être créés, se partageant avec les unités des terrains de Chartres, Tours et Avord le ciel du bassin moyen de la Loire, vaste région peu urbanisée dont météorologie plutôt clémente est favorable aux entraînement aériens.
Avec l’auteur, nous suivons la chronique des diverses unités françaises, puis allemandes qui se succèdent ici pendant près de trente années, dans un récit entrecoupé par de nombreux témoignages qu’il a su recueillir, et qui évitent au texte de tomber dans une énumération fastidieuse. Après une période relativement faste qui dure jusqu’en 1939, les dégâts importants causés par les bombardements alliés et une situation géographique mois favorable qu’auparavant conduisent l’activité de la base à rapidement péricliter, avant que le coup de grâce ne lui soit donné lorsqu’il est décidé d’installer à Châteauroux un centre d’entretien des appareils de l’USAF en Europe. Les plates-formes de la Martinerie et de Déols sont alors de tailles comparables – toutes deux sans piste en dur, mais l’existence de vastes ateliers hérités de la SNCASO est certainement l’élément décisif qui fait pencher la balance en faveur de la deuxième; le terrain militaire garde certes une vocation aéronautique comme entrepôt annexe, mais les avions y arriveront désormais par la route, comme le montre quelques photographies qui constituent curieusement ici la seule référence à cette période, probablement déjà évoquée par l’auteur dans son précédent ouvrage consacré à Déols.
Après le départ des Américains, le « camp de la Martinerie » passera à l’Armée de Terre jusqu’à une date récente, dans un nouvel emploi que l’auteur s’est appliqué à évoquer avec la même précision.
Didier Dubant est incontestablement un fin connaisseur de l’histoire locale castelroussine, on en trouve la preuve dans la liste de ses nombreux ouvrages parmi la longue bibliographie qui donne une idée de l’étendue de ses recherches. Les amateurs passionnés trouveront sans aucun doute dans un ouvrage bien illustré de quoi compléter leurs connaissances sur ce qui fut un des hauts lieux de l’aéronautique française entre les deux guerres mondiales, quoiqu’ils regretteront certainement comme nous l’absence de quelques plans, lesquels auraient permis de se faire une idée des dimensions de la plate-forme et de l’importance des installations. Une étude « archéologique » de l’évolution de ces équipements aurait au moins permis à l’auteur de remarquer que la photo de la page 81, où l’on ne voit aucune trace des bombardement du printemps 1944, n’a certainement pas été prise à la fin de cette même année… La présence des anciens hangars en « shed » fait même remonter la vue au moins au milieu des années trente !
Par ailleurs, on nous permettra de nous demander dans quelle mesure l’ouvrage n’aurait pas gagné en intérêt, en particulier pour le grand public, si l’auteur avait plus souvent abandonné une position d’observateur local, en replaçant les faits dans un contexte plus global. C’est un travers hélas trop fréquent de ce type d’ouvrage, qui pourtant est destiné à une clientèle locale dont les connaissances de l’histoire aéronautique générale ont peut-être parfois besoin d’être « rafraîchies »…
Pierre-François Mary
208 pages, broché