Chronique du vol à voile

L’Histoire du vol à voile suisse
Manfred R. Kueng

C’est un ouvrage assez monumental qui nous est proposé aujourd’hui par Manfred R.Kueng : il s’agit ni plus ni moins que l’histoire du vol à voile suisse, ou tout du moins de ses heures les plus importantes. Et c’est un très beau livre, d’une haute qualité de réalisation.

Après six pages de généralités didactiques présentant la discipline elle-même (technique, technologie, performances sportives), nous entrons dans le vif du sujet. Et là, ô surprise ! Le choix arrêté par l’auteur est très original : il nous présente sa chronique à l’envers, en partant du présent et en remontant le temps. Ceci dit, il nous propose de commencer par la fin si nous tenons absolument à retrouver le cours linéaire chronologique « normal », mais comme je n’ai pas de penchant pour les mangas, j’ai choisi de lui faire confiance et de continuer avec lui ce retour vers le passé.

Dans l’ensemble, ce n’est pas gênant, presque amusant. L’inconvénient principal se révèle quand on parle des associations de vol à voile, souvent créées suite à des scissions de clubs existants ou par regroupement d’autres sections. La présentation inversée fait que c’est plus difficile à suivre, en raison de la gymnastique mentale que cela impose. De même en ce qui concerne le passage des premières pages (les années récentes richement enluminées de nombreuses photos couleur) à celles racontant les périodes plus anciennes, illustrées très logiquement avec les clichés noir & blanc correspondants, peut-il créer un « choc » de lecture, avec le sentiment d’un appauvrissement alors que le contenu rédactionnel prouve le contraire. Quant à la diminution des performances réalisées par les pilotes, en avançant à reculons, cela donne une impression de rétrécissement à la « Benjamin Button ».

Le texte est parsemé d’anecdotes, pas forcément indispensables pour illustrer une chronique historique, mais qui rendent la lecture encore plus agréable. On compte quelques atterrissages/décollages sur glacier et quelques amerrissages de planeurs dans les lacs d’Arosa, de Lugano ou sur l’Obersee. Également, on se régale de quelques atterrissages nocturnes de planeurs, et même celui de nuit d’un attelage remorqueur-planeur à Genève-Cointrin. On découvre que les Alliés ne furent pas les seuls à récupérer des planeurs allemands en 1945 et qu’une aide importante au renouveau du vol à voile suisse après-guerre fut apportée par les quinze appareils sauvés de la destruction outre-Rhin avec la complicité de l’armée française, et on comprend pourquoi Adolphe Gehriger fut surnommé « Pirate » à cette occasion. Et bien d’autres histoires…

On réalise à la lecture combien les constructeurs de planeurs suisses ont apporté au vol à voile mondial, en diversité et en qualité.

Une part importante des premières pages est occupée aussi par les comptes-rendus des retrouvailles annuelles de l’association des vétérans de 2013 à 1971, second objet de l’ouvrage tel que cela est indiqué dans le sous-titre. C’est très compréhensible, vu les responsabilités assurées par l’auteur au sein de cette association, mais cela obère un peu la fluidité de la lecture du sujet principal.

Un grand regret ? Que les premiers essais genevois à Plan-les-Ouates en 1933 ne soient pas évoqués. L’adjonction d’une carte de la Suisse avec l’emplacement de tous les terrains cités aurait aussi été appréciable.

Un grand plaisir ? Retrouver les vols « postaux » de 1935 du Jungfraüjoch à Thun, sur lesquels il m’était arrivé de me pencher il y a quelques années suite à la découverte en braderie d’une des fameuses enveloppes. Également, toujours à titre personnel, celui de revoir Münster, pour avoir eu la chance de participer en 1994 à l’encadrement de l’édition annuelle des camps de perfectionnement estivaux qui s’y tenaient.

Au point de vue iconographique, c’est un régal. Outre les photos provenant de multiples collections privées ou de clubs, on retrouve en parallèle de magnifiques posters couleur extraits des célèbres calendriers de Clauss-Dieter Zink et quelques plaisantes illustrations de Nicolas Pug.

Si l’ouvrage initial est en langue allemande, la version française qui nous est présentée est remarquablement traduite, il est vrai par une équipe de neuf personnes. Tout au plus peut-on remarquer parfois quelques concordances de temps un peu aléatoires. Comme souvent cependant dans ce pays multilingue, quelques termes anglo-saxons n’ont pas réussi à être éradiqués : know-how, waypoint, boarding, starts, grounding… Quelques expressions typiquement romandes se rencontrent bien sûr, le lectorat principal étant de toutes manières helvète, nous vous offrirons en fin de recension un petit lexique pour les lecteurs français « hexagonaux ».

Enfin, les 75 dernières pages de l’ouvrage sont consacrées à toute une série d’annexes très intéressantes. Dans notre inventaire à la Prévert, nous avons une bibliographie, une liste d’abréviations, celles des championnat suisses en vol à voile et en voltige, celle des champions juniors, celles de différents prix, une courte présentation de 28 planeurs anciens, dont 24 fabriqués dans le pays, des plans 3-vues qui à la fois enchanteront les modélistes tout en les frustrant un peu par leur taille un peu petite, une anthologie de 27 planeurs plus récents volant en Suisse, tous Allemands sauf un Polonais (pas de Français, dommage), 42 plans 3-vues modernes issus des documentations constructeur des fabricants allemands (Schleicher, Schempp-Hirth, Glaser-Dirk et Rolladen-Schneider), les trombinoscopes des présidents de la fédération suisse et de ceux de l’association des vétérans, un mot sur l’auteur (titulaire de l’insigne d’or à trois diamants, moniteur et ancien chef-pilote de Montricher, Manfred Kueng est depuis 2005 le président de l’association des vétérans), la liste des sponsors, entreprises et individuels, qui ont permis l’édition du livre, et enfin un index alphabétique.

Voila, c’est une belle histoire que ce livre nous conte, avec ces annexes le compte (en Suisse) est bon, et elles complètent à merveille la première partie, le compte à rebours…
Ça donne envie d’y retourner, et promis, la prochaine fois je commence par la fin.
Merci à l’auteur d’avoir éclairé nos lanternes sur l’Helvétie !

Jean-Noël Violette


288 pages, 24 x 30 cm, relié couverture cartonnée


Petit glossaire franco-suisse :

– accorder la liberté de voler : lâcher, autoriser au vol solo
– à l’élastique : au sandow (mais il faut avouer que le mot « français » ne l’est pas vraiment…)
– armaillis : paysans des montagnes
– classe ouverte : classe libre
– conservateur : prudent
– place : aérodrome
– pointage : journée validée en compétition
– record indigène : record sur le sol national
– service de vol : activité
– stamm : réunion
– train de remorquage : attelage
– verrée : apéritif
– vol de virtuosité : voltige

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Éditions Rolf Ellwanger

ISBN 978-3-905531-077

42 €