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Ciel de gloires

Histoire des as au combat
Pierre Razoux

 Coup de cœur 2015 

On connaissait Pierre Razoux pour ses livres hautement spécialisés portant plus particulièrement sur les conflits au Moyen-Orient. Ces doctes ouvrages ne mettaient pas vraiment l’auteur à portée du « grand public ». Mais voilà qu’apparaît un livre qui diffère radicalement des volumes savants auxquels il nous avait accoutumés, puisqu’il s’agit de récits de fiction. Enfin… fiction, pas tout à fait, comme nous allons le voir.

Auprès d’un amateur avisé, les titres des chapitres évoqueront à coup sûr des As de l’aviation : La sentinelle de Verdun, Le bal des cigognes, Le jour de l’aigle, Le grand cirque, Têtes brûlées… Comment ne pas penser à Jean Navarre, Georges Guynemer, René Fonck, Manfred von Richthofen, Douglas Bader, Adolf Galland, Pierre Clostermann, Gregory (« Papy ») Boyington… Sauf que voilà : Pierre Razoux ne s’est pas contenté de nous livrer dix-sept courtes biographies d’autant d’As, ce qui lui aurait été assez aisé. Sous la plume d’un historien aussi méticuleux, une telle anthologie eût été fort agréable, mais Pierre Razoux s’est montré plus ambitieux et plus imaginatif. Chaque chapitre est une sorte de condensé de la vie de quelques as imaginaires, lesquels évoluent dans un cadre bien authentique. Par exemple, la « sentinelle de Verdun » n’est donc pas Navarre, mais un certain François auquel il serait vain de chercher une identité réelle. Comme le précise l’auteur dans son introduction, « Seul l’aviateur est un personnage fictif ». Pratiqué par un auteur moins instruit de l’histoire de la guerre aérienne, l’exercice stylistique pourrait être mièvre, mais ici, nous nous retrouvons avec des textes d’une impressionnante densité historique, à un niveau de détail remarquable. Qui plus est, tout sonne juste !

À titre d’exemple, sur soixante-cinq pages, la Grande Guerre occupe trois chapitres. Le premier (La sentinelle de Verdun) se passe en 1916, le second (Le bal des cigognes) en 1917 et le troisième (Le crépuscule des aigles) en 1918. Loin de se contenter de brosser les portraits de trois aviateurs, Pierre Razoux s’ingénie à nous dresser le tableau du cadre (technique, militaire, etc.) de l’action et à nous faire toucher du doigt l’énorme différence entre ces trois époques, amenant le lecteur à appréhender, comme de l’intérieur, la réalité détaillée du combat aérien.

Ce qui est vrai pour la Grande Guerre l’est également pour la Guerre d’Espagne (si souvent négligée), la Seconde Guerre mondiale, la Guerre de Corée, le Vietnam, les conflits du Moyen-Orient et d’autres plus récents. L’ambitieuse fresque composée par Pierre Razoux est remarquable tant dans le fond que dans la forme. Accoutumé à tenter de rendre vivants des textes arides, l’auteur s’est visiblement, une fois la bride sur le cou, livré au plaisir de l’écriture, et c’est perceptible. Un texte enlevé pour des histoires intenses, mais qui plus est d’une magistrale richesse documentaire. Seule petite ombre au tableau : les belles illustrations de Benjamin Carré méritaient sans doute un autre traitement qu’une impression en noir et blanc sur papier bouffant*.

Ainsi donc, ce livre, qui aurait pu n’être qu’une collection d’histoires d’aviateurs, va bien au-delà. Passionnant dans sa forme, il est enrichissant par son contenu. Un éditeur rompu au arcanes du petit milieu des amateurs d’histoire de l’aviation est toujours méfiant : c’est une population où l’on trouve nombre de dévots peu enclins à pardonner la moindre erreur. Un historien, davantage connu pour ses ouvrages de référence, s’expose en publiant un livre relevant de la littérature. Gageons que Pierre Razoux a vérifié chacun des boutons de guêtres de ces dix-sept récits… y compris pour le dernier qui évoque une très plausible future confrontation entre un Rafale indien et un Soukhoï Su-47 Berkut. Si l’on pouvait établir un parallèle, ce seraient les amateurs de littérature maritime qui l’établiraient avec C. S. Forester, l’auteur de l’exceptionnelle saga d’Horatio Hornblower.

Voilà donc un livre qui allie richesse documentaire, rigueur historienne et indéniable talent d’écriture. Le coup de cœur de l’Aérobibliothèque était inévitable. Une précision tout de même : par sa forme tant que par son contenu, cet ouvrage est davantage destiné au « grand public » qu’à un lectorat d’experts.

Philippe Ballarini


388 pages, 13,5 × 22 × 1,8 cm , broché
0,469 kg
Nombreuses illustrations et photos N&B


* papier bouffant : papier relativement brut, épais et léger, agréable à manipuler, particulièrement adapté à l’impression de texte, nettement moins à celle d’illustrations.

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Flammarion

ISBN 978-2-0813-6314-4

Coup de cœur 2015
22 €