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Consuelo de Saint-Exupéry

Une mariée vêtue de noir
Marie-Hélène Carbonel & Martine Fransioli Martinez

Sur son lit de souffrance et de lente agonie, Consuelo Suncin Sandoval retrace, entre deux crises d’asthme qui épuisent ses dernières forces, toutes les pages de son existence, son enfance, son adolescence au Salvador, une terre volcanique où les paysages changent au gré des bouleversements telluriques, et enfin, ses trois mariages.

Sa voix est un enchantement et elle est dotée d’un talent de conteuse émérite, d’une âme d’artiste. Mais le Salvador est beaucoup trop petit pour celle qui rêve « d’être reine en un petit lointain ». D’ailleurs, dès son diplôme d’enseignante en poche, elle part en Californie pour parfaire sa formation. Sur sa route, elle croise celui qui sera son premier mari, un jeune Mexicain, Ricardo Cardenas, qui se prétend révolutionnaire alors qu’il n’est qu’un simple marchand de couleurs. De cette union qui ne dure que trois ans, elle gagne tout de même l’art de mêler les couleurs qu’elle couchera sur ses toiles plus tard. Devenue Mexicaine par mariage, elle s’inscrit alors à la faculté de droit de Mexico pour tâter du journalisme. Elle y rencontre José Vasconcelos, élève de Diego Rivera, ministre de l’Éducation, déjà doté d’une femme et de deux enfants, qui succombe malgré tout au charme et à la voix ensorceleuse de Consuelo. Quand il part pour Paris, elle ne peut s’empêcher de le rejoindre, fascinée par cette France qui l’attire comme un aimant.

Elle fréquente avec aisance les grands artistes de l’époque et rencontre à Nice Enrique Gomez Carrillo, célèbre chroniqueur guatémaltèque, devenu ambassadeur de l’Argentine. À ses côtés, elle sympathise avec tout le beau monde des années folles, des Prix Nobel aux hommes politiques. Malgré les quelque trente années qui les séparent et la maladie qui le ronge, Enrique a juste le temps d’épouser la frêle salvadorienne et de la coucher sur son testament avant de décéder quelques semaines plus tard. À 26 ans, Consuelo est veuve mais riche.

Lorsque le président argentin Yrigoyen la réclame pour donner des conférences sur son célèbre époux, elle n’hésite pas à embarquer sur le Massilia pour l’Amérique du Sud. Elle y rencontre celui qui va bouleverser sa vie. C’est un Saint-Exupéry triomphal et en quête d’épouse qui la prend brutalement par le bras et l’emmène à bord de son avion car il tient absolument à lui montrer Buenos-Aires d’en haut. Ce vol est un cauchemar pour Consuelo et ses amis car le pilote menace de s’abîmer en mer si elle ne lui donne pas un baiser. Et joignant le geste à sa parole, il coupe le moteur et l’avion pique vers l’océan. La jeune femme ne peut que s’exécuter pour sauver sa propre vie et celle des amis qui l’accompagnent dans cette épopée.

Pour épouser Consuelo, il faut d’abord passer par le consentement de l’incontournable Madame mère, et Marie de Saint-Exupéry n’est pas des plus commodes. Épouser une étrangère, et qui plus est, divorcée ! Impensable pour des gens de la bonne bourgeoisie avec une particule, même si elle est désargentée ! Et le qu’en dira-t-on, son cher petit garçon y a-t-il songé un instant ? Qu’importe, puisque son fils insiste, Madame mère s’occupe de la cérémonie, occulte le divorce et rédige des faire-part destinés à tromper son monde. La fille du planteur de café salvadorien Suncin Sandoval devient pour la (bonne) cause Consuelo de Suncin de Sandoval, un nom qui sied mieux à une comtesse. À trente ans, la jeune mariée intègre un monde inconnu et complexe : celui de l’aéronautique.

À l’enchantement des débuts d’un amour fusionnel et fantasque, de bohême et de voyages incessants, vont suivre les déchirures et les nuits de solitude. D’appartements loués en chambres d’hôtels, elle est régulièrement mise à la consigne comme un bagage encombrant. Le temps de s’installer et Saint-Exupéry part vers d’autres cieux et d’autres bras sans se soucier de son épouse souffrant d’asthme chronique. Où qu’il aille, il sait où la trouver ; aussi, ne se gêne-t-il pas pour prolonger ses absences et s’afficher avec ses maîtresses d’un jour ou d’un mois. En quelque sorte, il s’octroie des « vacances de mari » autorisées par Consuelo elle-même, mille fois bafouée, à laquelle il expédie des messages enflammés rappelant qu’elle est sa femme, sa chose, sa rose, promettant de revenir toujours aussi amoureux de sa « Pimprenelle ».

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle vit l’exode comme une trahison. Son mari se replie à New York en compagnie d’une bande d’artistes et d’écrivains « laissant la France sans Français ». Consuelo s’installe à Oppède, un village médiéval en ruines dans le Lubéron que reconstruit toute une bande d’architectes. Cette époque exaltée où tout le monde s’échine à la tâche tout en criant famine lui inspira le roman Oppède qu’elle publiera en Amérique.

Après des mois d’incertitude, elle se décide à rejoindre Antoine outre-Atlantique, lequel mène joyeuse vie auprès de ses amis et de ses maîtresses. Ulcérée de son comportement égoïste et volage, elle demande (enfin) le divorce, mais le mari au bord de la répudiation sait trouver les mots pour la désarmer. Après tant d’années de souffrances, d’absences et de désespérance, le couple se réconcilie. C’est alors que naît leur enfant : Le Petit Prince, un conte destiné aux enfants dans lequel l’écrivain-pilote reconnaît toutes les erreurs qu’il a commises envers son épouse, son inspiratrice et sa rose.

Voulant poursuivre le combat pour la libération de la France, il use de ses relations pour rejoindre la France Libre à Alger. Le conte est à peine terminé et il promet, comme d’habitude de revenir auprès de son épouse à laquelle il adresse des lettres d’amoureux transis, ce qui ne l’empêche pas de courir la gueuse à Alger… Et puis, on connaît la suite. Il disparaît en mer le 31 juillet 1944, laissant une Consuelo inconsolable qui n’aura de cesse de participer à toutes les commémorations en l’honneur de son héros de mari au fil des années qui s’écoulent.

Elle peint, expose dans le monde entier avant de décéder à Grasse en 1979, suffoquant à une ultime crise d’asthme aiguë. Elle a pris soin, au cours des 18 mois précédant son départ pour une autre planète de confier à un dictaphone tous les souvenirs de sa triste vie pour effacer « tous les mensonges que l’on a trop dits. »

Élaborée à partir d’échanges de correspondances pieusement conservées dans des malles et de la retranscription des récits d’une Consuelo qui n’a aucune raison d’affabuler à la veille de mourir, c’est sans doute la seule biographie permettant de balayer les légendes qui ont couru sur le couple Saint-Exupéry. Comment une femme peut-elle subir tant d’outrages et faire preuve de tant d’abnégation ? On comprend mieux la petite phrase qu’elle prononça après son mariage : « être la femme d’un pilote, c’est un métier, être la femme d’un écrivain, c’est un sacerdoce. »

Cette confession est un très beau livre, bouleversant, pathétique et révoltant à la fois. Dommage toutefois que le brochage manque de qualité, tout au moins sur l’exemplaire que nous avons reçu : les pages photos insérées au milieu de l’ouvrage se détachent dès qu’on les tourne.

Corinne Micelli


568 pages, 16 x 24 cm, broché

En bref

Éditions du Rocher

ISBN : 978-2-268-06904-3

24 €