Un livre peut parvenir à nous rendre presque familier un endroit que l’on ne connaît pas, grâce à la présentation de son histoire : telle est l’une de mes impressions après avoir lu l’ouvrage de Jack Guillemin et Philippe Nicodème qui retrace, l’expression n’est pas trop forte, « l’extraordinaire aventure des ballons et dirigeables » dans cette ville du Nord. On pense à tort que le livre n’intéressera a priori que les passionnés d’histoire locale, que le sujet est apparemment restreint, et on ouvre finalement un livre agréable et didactique, qui nous ramène avec beaucoup de plaisir aux « fondamentaux » de l’histoire de l’aviation, lorsque la « petite histoire locale » était le prélude à une grande aventure technologique de l’humanité.
Bien avant le Blitzkrieg de 1940, le marquis d’Argenson, secrétaire d’État de Louis XV écrivait « Il y aura des armées aériennes. Nos fortifications actuelles deviendront inutiles » : l’aérostation à peine inventée grâce à l’industriel Joseph de Montgolfier, l’idée de son utilisation à des fins militaires plaça aussitôt Maubeuge en première ligne de l’aventure aérienne, avec la compagnie des aérostiers de la Première République du commandant Jean-Marie Coutelle, les ascensions du ballon L’Entreprenant aux batailles de Charleroi et de Fleurus.
Le même Coutelle écrivit « On n’a jamais assez su ce qu’il en a coûté de peines, de fatigues pour établir cette machine ; on ne sait pas assez qu’il fallait faire tout ce que nous avons fait et qu’il est très possible qu’en d’autres circonstances, avec les mêmes moyens, on n’eût pourtant pas réussi ; qu’il fallait être soldat et en faire preuve à l’occasion ; qu’il fallait enfin avoir fait le sacrifice de son repos et de sa santé, ne voir et ne penser qu’à l’aérostat pour se porter partout aussi promptement, pour exciter l’enthousiasme de l’armée et porter le trouble dans l’armée ennemie… » Précisément, Jack Guillemin et Philippe Nicodème ne tombent pas dans une énième « imagerie d’Épinal » pour nous relater aussi fidèlement que possible ces efforts, grâce à un travail historique richement documenté et passionnant. La fluidité et le sérieux du propos, une mise en page sobre et bien équilibrée invitent facilement à continuer de parcourir le fil d’une aventure peu connue…
Après deux chapitres consacrés au « temps des pionniers » et aux « débuts héroïques », on découvre comment, après avoir réussi à s’élever dans les airs, ces pionniers cherchèrent à s’y diriger. Et aussi que si l’Allemagne a durablement marqué les esprits avec les gigantesques Zeppelin, la France et le centre d’aérostation de Maubeuge ont accumulé dans le même temps une expérience indéniable. « Des dirigeables et des hommes » : nul n’étant prophète en son pays, qui se souvient en effet des dirigeables Adjudant Vincenot, Dupuy de Lôme, Fleurus, Montgolfier, de Adolphe Clément, Stanislas Dupuy de Lôme, Paul Lerou, Joseph Branche ?
La seconde moitié de l’ouvrage est consacrée aux quatre années de ‘l’époque allemande’ de Maubeuge. Autres dirigeables, autres hommes : en septembre 1914, les armées du Kaiser capturèrent, agrandirent et modernisèrent le terrain, d’où plusieurs Zeppelin opérèrent successivement pour des raids contre l’Angleterre ou les lignes de ravitaillement alliées de Verdun. Les « géants des airs » ne survécurent que peu de temps après la fin de la Première guerre mondiale. Le terrain de Maubeuge sera encore brièvement utilisé avec des Zeppelin livrés à la France au titre de la réparation des dommages de guerre mais la page se tournera définitivement avec le conflit suivant.
Des plans, cartes, explications techniques, de nombreux clichés de bonne qualité aux légendes pertinentes illustrent abondamment l’ouvrage : l’une de nos impressions très favorables réside aussi dans une mise en parallèle de photographies montrant des mêmes lieux à différentes époques, façon « after the battle », ce qui rend l’ensemble très attrayant, même pour qui n’a jamais mis les pieds au bord de la Sambre…Sur place, il ne subsiste rien des installations de l’ancien site d’aérostation : le livre de Jack Guillemin et Philippe Nicodème ravira les natifs de Maubeuge et du Nord certes, mais aussi celles et ceux qui s’émerveillent toujours devant les trésors de courage et d’inventivité des pionniers de l’aviation, qui s’écrient « C’est incroyable qu’on arrive à faire voler ça » en voyant un Airbus A-380, comme pouvaient le faire les générations précédentes devant un Zeppelin… Un excellent et très digeste livre en autoédition !
G-D. Rohrbacher
284 pages, 21 x 29,7 cm, couverture souple
– Coup de cœur de l’Aérobibliothèque 2007