Coup de cœur 2008 |
« Mon Dieu, mon dieu, laisse-moi encore une fois revoir le ciel de Pau » dit Charles Darrichon, l’auteur mourant de « Beth Ceu de Pau » (1), le fameux hymne à la beauté du ciel de la cité d’Henri IV. Il est vrai que la plaine du Gave de Pau, étendue entre la fière tour du château de Morlanne et les majestueuses Pyrénées, est dominée par un ciel absolument magnifique, un azur de saphir sur lequel trône, solitaire et hautain, le Pic du Midi d’Ossau. Se poser sur l’aéroport de Pau-Pyrénées est un ravissement sans égal quand la tombe de Pyrène (2) s’illumine de la gloire de Fébus (3), nappée dans les couleurs chatoyantes de l’automne. Ironie du sort, l’auteur de « Beth Ceu de Pau » écrivit son chant en Amérique, terre d’où viendraient des hommes qui donneront au ciel de Pau une gloire et une histoire à nulles autres pareilles.
Début 1909. Près de six ans après le premier vol de leur Flyer III, les frères Orville et Wilbur Wright viennent enfin en Europe faire la preuve de leur savoir-faire jusque-là mis en doute par la petite communauté des aviateurs. Après plusieurs exhibitions au Mans dans le courant de l’année 1908, les Wright sont invités à Pau, la capitale du Béarn, où la municipalité se met littéralement en quatre pour leur préparer des conditions exceptionnelles, avec des logements luxueux dans les plus beaux hôtels palois, un terrain d’aviation sur la plaine du Pont Long dont l’aérologie est jugée exceptionnelle, des hangars, une tribune, et surtout l’assurance d’une audience massive. Pau est à l’époque une destination prisée pour son climat de la haute société tant européenne qu’américaine. Les rois d’Angleterre et d’Espagne y séjournent régulièrement et la capitale béarnaise est riche et huppée.
La seule contrainte imposée aux frères Wright fera entrer la ville de Pau au Panthéon de l’histoire aéronautique. Les Wright s’engagent par contrat avec la municipalité à former trois pilotes sur leur appareil. Pau devient alors la toute première école d’aviation de l’histoire et elle donnera à l’aviation mondiale un élan qui ne s’arrêtera plus.
Dans le Ciel de Pau est un ouvrage collectif rédigé par l’équipe de l’association La Chapelle Mémorial de l’Aviation, une équipe valeureuse qui a superbement réhabilité l’ancienne chapelle de la base aérienne 119 de Pau, un peu à l’écart du terrain, et qui milite pour la sauvegarde des hangars Eiffel qui ont abrité entre autres l’école militaire d’aviation de Pau pendant la Première Guerre mondiale.
Ces passionnés nous livrent ici un ouvrage aussi exceptionnel que le sujet qu’il traite. L’introduction, qui se veut modeste et humble, est l’arbre qui cache une forêt dense de recherche historique exhaustive, puissamment documentée et illustrée, qui dépasse d’ailleurs le simple cadre de l’aviation paloise. Les auteurs commencent l’ouvrage par un récapitulatif impressionnant des précurseurs et des pionniers qui ont pu influencer les Wright et qui donne d’entrée une vision très complète de la recherche aéronautique au début du siècle. Les chapitres suivants, non moins impressionnants d’exhaustivité et de documentation, relatent le séjour des Wright en France puis à Pau, avant d’aborder un descriptif technique passionnant du Flyer et d’exposer la formation des pilotes ou encore les négociations commerciales qui entourèrent la venue des Wright à Pau. L’ouvrage se termine par une vision globale de l’héritage des Wright à Pau.
Au risque de le répéter, il faut souligner la documentation exceptionnelle réunie par les auteurs, des délibérations du conseil municipal de Pau aux cartes postales d’époque en passant par les dessins caricaturaux, les travaux d’artistes, les coupures de presse ou la correspondance entre les principaux protagonistes. On en vient même à se demander comment tout cela tient dans un espace somme toute réduit !
Très agréable en main, facile à la lecture, d’une bonne qualité d’impression et de finition, Dans le Ciel de Pau oscille constamment entre le récit historique et la somme de référence, à moins que ce ne soit un condensé d’archives. C’est en tout cas une formidable et très complète incursion dans le passé pour comprendre et apprendre les débuts de l’aviation et le rôle joué par la ville de Pau. C’est le genre de livre, rare au demeurant, qui donne au néophyte le sentiment d’être devenu un grand spécialiste !
Timothy Larribau
300 pages, 16 x 24 cm, couverture souple
– Coup de cœur 2008 de l’Aérobibliothèque
1 – Beth cèu de Pau : beau ciel de Pau.
2 – La légende raconte que Pyrène, une jolie jeune fille, tomba amoureuse d’Hercule lorsqu’il allait capturer les bœufs à cornes d’or. Une idylle naquit et les deux amoureux voulaient se marier. À la fin de l’été, la jeune fille enceinte attendait son amoureux dans la forêt, mais Hercule effrayé par un sombre présage s’enfuit. Lorsque Pyrène comprit, éperdue de douleur, elle s’enfonça dans la forêt poursuivie par les loups qui la dévorèrent. Alerté par ses cris, Hercule rebroussa chemin pour ne trouver que ses os blanchis. Dans sa colère et sa tristesse, Hercule tua tous les loups à coups de pierres et amassa, tant que dura sa tristesse, des rochers sur la tombe de sa tendre aimée. Ainsi naquirent les Pyrénées, la tombe de Pyrène.
3 – Fébus, par analogie avec Phoebus-Apollon, le dieu-soleil, fut le surnom choisi par Gaston III de Foix-Béarn (1331-1392) au retour de sa croisade teutonique en Prusse (1356). La légende raconte que Gaston Fébus était un très bel homme à l’abondante chevelure blonde et à l’orgueil démesuré.
Devant la qualité exceptionnelle de cette étude, nous avons attribué un coup de cœur à l’ensemble de la collection Dans le ciel de Pau
– Volume 1 : Les débuts de l’aviation : Wright 1909
– Volume 2 : Les plus légers que l’air
– Volume 3 : Blériot et les écoles d’aviation françaises
– Volume 4 : L’École militaire d’aviation
– Volume 5 : Ernest Gabard et l’aviation