Si les incroyables records vélivoles qui tombent régulièrement en Argentine vous font comme moi rêver tout en vous demandant comment cela est possible, si vous êtes sensibles à l’étrange poésie d’une morning-glory, des sauts de Bidone, des ondes de Rossby, des nuages de Kelvin-Helmotz, des flux catabatiques, des fréquences de Brunt-Väisälä, des paramètres de Scorer, des ondes en fer à cheval et autres nombres de Froude, cet ouvrage est pour vous.
Jean-Marie Clément est un des plus grands experts mondiaux des records en vol d’onde. Le livre qu’il publie aujourd’hui est appelé à devenir un des incontournables de la littérature technique du vol à voile, aux côtés des ouvrages de Reichmann, Bradbury, Moffat, etc.
C’est un pavé de 300 pages très fouillé, pas un de ces livres qu’on peut se contenter de survoler, d’autant plus que son contenu se passe la plupart du temps entre 4000 et 8000 mètres, et on risquerait vite l’hypoxie.
Si c’est d’abord le travail d’un scientifique et d’un technicien, on découvre en l’auteur un bon pédagogue au fil des pages et de ses explications.
Le côté « ingénieur », on le trouve dans la clarté de la présentation, comme ce doublage des liens Internet cités par un QR code pour un accès direct, ou les remarques préliminaires concernant le choix des majuscules pour les points cardinaux. C’est aussi, en revanche, dans les chapitres les plus théoriques, l’insertion de formules mathématiques alambiquées qui pourrait rebuter le lecteur non habitué, voire réfractaire, à leur manipulation. Mais l’auteur le précise, on n’est pas obligé de s’y arrêter et elles ne servent que de support à une argumentation dont les conclusions, elles, sont bien expliquées. Certains points tiennent de l’hypothèse, comme l’efficacité des brises dextrogyre/lévogyre (très intéressant !), d’autres encore sont une invitation à un approfondissement par les chercheurs du futur. Enfin, à noter car cela peut surprendre à la première lecture, l’utilisation récurrente du signe » ÷ « au lieu de » / » dans les intervalles, « de 3000 à 5000 m » devenant « 3000÷5000m ».
Le versant « didacticien », lui, est perçu au fil du déroulé de l’ouvrage. Cela commence par des généralités sur le vent et les brises, puis sur les techniques et les dangers du vol de pente, qui n’est pas oublié bien que le livre soit plutôt consacré au vol d’onde. Ensuite, après des chapitres sur les formations ondulatoires et certaines ondes atypiques, est abordé le saut hydraulique. Son appellation comme « saut de Bidone », est le cheval de bataille bien connu de Jean-Marie Clément depuis de nombreuses années. On s’y plonge avec délectation, car l’auteur explique bien le phénomène, et on a ainsi plaisir à mieux le comprendre. La seconde moitié de l’ouvrage, très pratique, permet de préparer ces performances de très haut niveau tout en gardant les pieds sur terre : techniques d’utilisation des ondes de ressaut, aspects médicaux (rédigés avec l’aide de spécialistes, médecins et chercheurs) et, vraiment très développé, un chapitre final sur l’oxygène.
De nombreuses photos et des récits très intéressants viennent illustrer la plupart des sujets. Outre celles de l’auteur, les narrations de vols, et parfois d’incidents, proviennent de très grands pilotes : Leonardo Brigliadori, Karl Stredieck, Giorgio Galetto, etc.
L’ensemble est donc bien rédigé et se laisse lire avec plaisir. Tout au plus peut-on regretter quelques petits passages, comme page 20 ce « …aux besoins [météo] du pilote ainsi qu’à ceux de madame et des enfants. » pas très paritaire, page 188 un « dans les années 60-70, lorsque les lettres PC n’avaient qu’une signification politique de sinistre mémoire » déplacé, ou l’aigreur de la phrase finale du livre, page 304 « à tous ceux qui, aveuglés par leurs idéologies ou par la jalousie, n’ont eu de cesse de me mettre des bâtons dans les roues, ne faisant que renforcer mon obstination à mener à bien cet objectif. »
Et techniquement, un petit regret serait qu’un tableau chronologique des records n’ait pas été annexé, même si l’on sait que la vocation d’une telle table est d’être rapidement périmée.
Mais, au-delà de ces détails, et c’est là le principal, il reste un livre magnifique dont on sort sur un petit nuage. Haut, très haut…
Un livre magnifique et dense… avec le vent, bien sûr !
Jean-Noël Violette
304 pages 21,5 x 28 cm, couverture cartonnée pelliculée avec rabats
Lectorat : amateurs avertis