Rédigé par Christian Paris, ce livre raconte l’aventureuse existence de Jean Billaud. Cette histoire ne pourra pas laisser indifférents les amateurs de destins hors-normes, puisque son personnage principal fut tour à tour élève-pilote de l’Aviation populaire, mitrailleur de queue sur un bombardier de la RAF pendant la Seconde Guerre mondiale, pilote d’épandage agricole au Maroc, commandant de bord d’hélicoptère militaire pendant les « événements » d’Algérie, pilote personnel de plusieurs chefs d’État africains, comoriens ou du Sud-Est asiatique, mais aussi à l’occasion correspondant très officieux des services de renseignements et diplomatiques français. Le tout se passe donc avec en toile de fond plusieurs conflits, guerres civiles et révolutions de palais qui ont marqué les années quarante et la seconde moitié du XXe siècle.
Les limites de l’exercice se ressentent simplement quand, au fil du texte, on ne sait plus si certains passages sont la transcription des pensées de notre héros, ou si cela relève de la licence poétique de son biographe. Est-ce Jean Billaud qui insisté pour que de multiples références et citations littéraires, culturelles, voire philosophiques viennent émailler ce récit (Socrate, Jules Ferry, Mozart, Marcel Proust, Audiard, Schœlcher, Pina Bausch, Paul Valéry, Stanley Kubrick) ? Lequel des deux s’exprime par tant de périphrases (la mission du pandore, l’intérim conjugal, la colère de Jupiter, épargner les abysses, les machines à en découdre, une silhouette harmonieuse que n’aurait pas reniée Phidias, etc.) ? L’avantage de ces figures de style est que le texte est techniquement bien écrit, sans fautes ni répétitions. L’inconvénient, en en usant un peu trop, est que cela peut parfois paraître compliqué, voire quelquefois grandiloquent.
Le lecteur habitué des Aéroforums sera enchanté du grand nombre d’appareils, avions et hélicoptères, qu’il rencontrera au fil de l’ouvrage. Il pourra cependant être surpris, page 19, que « l’avion de Couzinet » ne soit pas cité sous son nom d’Arc-en-Ciel, perdant ainsi un peu trop son « identité industrielle » ou de voir, pages 261/262, un Sikorsky H34 traité « d’Alouette, comme s’il s’agissait d’un nom générique.
L’amateur d’Histoire appréciera la description de certaines ambiances, comme celle, très tendue, à la fin de la guerre entre les « mercenaires de De Gaulle » et ceux qui ont fait d’autres choix et qui traitent ainsi les combattants partis outre-Manche, ou encore celle du putch des généraux, en Algérie. Il devra par contre être tolérant avec certaines étrangetés chronologiques : Jean Billaud arrive en Angleterre fin 1942 et commence à combattre en octobre 1944 « dans une guerre aérienne, à qui l’Histoire a offert le souffle épique d’un titre consacré depuis par la littérature et le cinéma : la bataille d’Angleterre ». Plus loin, en décembre 1944, il voyage avec « le colonel Bozon-Verduraz, ancien pilote de la Première Guerre » ; or ce dernier, co-équipier de Guynemer le jour de sa disparition, est décédé en juin 1942.
Les férus de géopolitique, enfin, seront enchantés de trouver dans cet ouvrage un témoignage sur plusieurs théâtres d’action (décolonisation et auto-détermination des nations, dessous de table de la Françafrique…) que l’on sent empreint d’une fidélité gaullienne inaltérable, mais là encore sans pouvoir distinguer ce qui relève de l’analyse de Billaud lui-même ou du travail de son hagiographe. En effet, en nous présentant l’auteur en quatrième de couverture, on mentionne que « son intérêt pour la géopolitique élargit l’horizon de sa passion pour l’aviation ».
L’iconographie aurait pu être remarquable, car les photos semblent issues de la collection personnelle de Jean Billaud. Elles sont malheureusement desservies par le choix d’un papier bouffant, qui a dû agir comme un buvard et a rendu les clichés flous. Dommage !
Au final, gardons l’image d’un ouvrage attachant par son côté témoignage historique de première main, en faisant abstraction de certaines longueurs : l’existence embourgeoisée dans le cercle intime des dirigeants de certains pays, les remarques désabusées sur le comportement des représentants de la France ou le retour final du ménage Billaud en Métropole, ce dernier occupant une vingtaine de pages et s’apparentant plutôt à un documentaire touristique. Ces passages plus statiques pourraient nous faire oublier que tout a commencé par la volonté d’un homme d’aller chercher l’aventure au bout du Monde. Or c’est bien cette image d’aventurier que nous chercherons à conserver en refermant ce livre, c’est elle qui peut encore nous faire rêver.
Jean-Noël Violette
419 pages, 15 x 22 cm, broché
0,590 kg