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De la terreur à la Lune

La saga des armes secrètes d’Hitler
Hugues Wenkin

Les tumultes de la Seconde Guerre mondiale étaient à peine tus que sous les braises couvait un autre conflit, peut-être plus menaçant encore : une « Guerre froide » qui, parmi les anciens Alliés, allait opposer l’URSS et les USA, accompagnés par leurs (plus ou moins « volontairement ») coalisés. Cette guerre ne fut pas « froide » pour tout le monde : elle fut à l’origine de nombreux conflits armés bien réels (Indochine, Cuba, Corée, Algérie, Vietnam, etc.), mais elle trouva une expression « symbolique » dans la course à l’espace. Lorsqu’en 1957, le monde frémit (d’émerveillement ou d’inquiétude) à l’annonce de la mise en orbite de Spoutnik 1, le premier satellite artificiel de la Terre, celui-ci avait été propulsé dans la banlieue terrienne par un lanceur Semiorka R-7 dû à l’ingénieur Sergueï Korolev « rapatrié » du Goulag. Chez l’oncle Sam, on avait fait fort : on avait tout simplement récupéré, par le biais de l’opération (secrète) Paperclip, à peu près tout ce qu’il y avait comme cerveaux scientifiques de haute volée… apparemment sans se montrer trop regardant. C’est ainsi que le SS-Sturmbannführer* Wernher von Braun fut en quelque sorte « lavé » de son encombrant passé nazi… et chargé d’une mission qui consistait « simplement » à coiffer les Soviétiques sur le poteau dans la course à la Lune, à l’époque sommet de la conquête de l’espace.

Signe explicite : Hugues Wenkin fait ouvrir et fermer son livre De la terreur à la Lune sur deux photos non équivoques. La première représente von Braun en compagnie du président John F. Kennedy, la seconde en compagnie de Dwight Eisenhower, dans un climat d’hilarité partagée.
Cet ouvrage (très bien illustré) détaille le cheminement de Wernher von Braun, depuis le très respectable enthousiasme de ses dix-neuf ans au sein de la Verein für Raumschiffahrt jusqu’à une (brève) évocation de son apogée avec le programme Apollo. S’il ne s’agit pas expressément pour l’auteur de régler son compte au père de la fusée Saturn V (avec laquelle la NASA put mener à bien les missions Apollo), la place de celui-ci dans la machine de guerre nazie est à la fois développée et démontrée. Il ne faudrait effectivement pas perdre de vue le fait que si les V2 firent environ 9000 victimes, ce sont plus de 26 000 déportés qui sont morts à leur construction dans les tunnels de Dora-Mittelwerke. Ainsi qu’il est rappelé dans ce livre, on finit par se souvenir aux USA de l’implication de von Braun dans l’horreur concentrationnaire… mais après sa mort en 1977.

Néanmoins, si la personne de von Braun prend une place non négligeable dans cet ouvrage, ce n’en est pas tout à fait le sujet central, celui-ci étant, comme l’indique le sous-titre, les fameuses Vergeltungswaffen, ces armes dites « de représailles » pour reprendre la terminologie hypocrite du régime hitlérien. Hugues Wenkin montre bien comment, dès 1933, les militaires allemands noyautèrent la recherche sur les missiles. Sont ensuite évoqués l’installation sur l’île d’Usedom, ainsi que les divergences et rivalités avec la Luftwaffe qui développe sa propre « arme secrète », la V1, infiniment plus rustique, ainsi que les différents problèmes techniques, les méthodes de lancement… Sont également abordés la V3 Hochdrückpumpe, la V4 Rheinbote (dont quelques exemplaires furent lancés sur Anvers en décembre 1944), ainsi que le site gigantesque de Mimoyecques. Avec le chapitre six, on aborde la question du renseignement ainsi que les différentes opérations alliées (essentiellement effectuées par la RAF) visant à détruire lieux de production et sites de lancement. Tous les aspects concernant ces « armes V » sont présentés, depuis leur impact psychologique, humain, matériel et doctrinal jusqu’aux moyens développés par le Royaume-Uni et les USA dans leur « chasse aux savants » entamée dès 1942* (en prévision d’une prochaine « guerre totale » contre l’URSS), en passant par les manœuvres politiques de Himmler, la propagande, les conséquences stratégiques de la lutte contre les Vergeltunswaffen*, ces « armes-miracle » qui devaient prémunir le III. Reich de la défaite…

En rappelant que ce sont les travaux de Wernher von Braun et de son équipe qui permirent à la NASA d’amener Neil Armstrong et Buzz Aldrin de poser le pied sur le sol lunaire le 21 juillet 1969 (avant que les Soviétiques ne soient en mesure de le faire), le livre d’Hugues Wenkin jette un voile sombre sur cet événement qui, au bout du compte, fut la conclusion d’un parcours qui fit plus de 25 000 morts.

L’auteur cite largement ses sources en fin d’ouvrage, donnant entre autres les cotes des documents qu’il a consultés aux National Archives de Kew, et il propose une bibliographie fournie. La facture de l’ouvrage est du niveau des autres livres de l’éditeur Pierre de Taillac : belle mise en page, impression soignée sur papier de qualité, jaquette à grands rabats… Et cet ouvrage élégant est imprimé et façonné en Belgique, ce qui prouve qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à une entreprise chinoise pour obtenir un produit impeccable à un prix raisonnable.

Philippe Ballarini


*Sturmbannführer : équiv. Major dans la Wehrmacht, commandant dans l’Armée française.
*Verein für Raumschiffahrt = Association pour la navigation spatiale.
* On notera que l’opération « Paperclip » d’exfiltration de savants allemands ne cessa qu’en 1957.
* Vergeltungwaffen se traduit par « armes de représailles » alors que ce furent, de toute évidence, des armes d’agression.


232 pages, 25 x 21 cm, couverture cartonnée + jaquette


De la terreur à la Lune
De la terreur à la Lune

Avec l’aimable autorisation des
© Pierre de Taillac

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Éditions Pierre de Taillac

ISBN : 978-2-36445-135-3

29,90 €