Un titre en grands caractères rouges : Dernier vol pour l’enfer. Juste en-dessous, en noir, écrit en plus petit, comme il se doit, le sous-titre « Les cinq vies d’Ernst Udet ». En bas de page, la discrète mention « Roman ».
Et en face, un aérobibliothécaire circonspect : le sous-titre évoque une biographie, œuvre historique, mais la mention « roman » vient suggérer le fait que Dernier vol pour l’enfer est une œuvre de fiction.
Cruel dilemme : comment aborder cet ouvrage ? Force est de reconnaître que le personnage d’Ernst Udet s’avère singulièrement romanesque et que l’écriture de Stéphane Koechlin convient à merveille à la narration de son existence de dandy. Mais voilà : Udet fut d’abord et avant tout un pilote de talent s’étant fourvoyé dans une carrière politico-militaire qui le dépassa complètement et qui fut peut-être à l’origine de sa chute. Séducteur mondain, fêtard, joueur, alcoolique et morphinomane, Ernst Udet n’en fut pas moins Generalluftzeugmeister* de la Luftwaffe* : le régime nazi lui offrant des chances qu’il n’aurait pas pu espérer, il s’est laisser aller à passer un pacte avec le diable, en l’occurrence son vieil ami Goering.
Alors, biographie romancée, roman historique , œuvre d’écrivain, fruit d’un travail d’historien ? Voilà un livre que l’on peinera à situer, comme c’est le cas de plus en plus fréquemment. Mais qui ira trier le bon grain de l’ivraie ?
Puisque ce livre est dénommé « roman », l’amateur de littérature y trouvera son compte : l’écriture de Stéphane Koechlin ne manque pas de qualités. Mais quid de l’amateur d’Histoire, venu attiré par le sous-titre pour se renseigner sur le parcours d’Ernst Udet ? Et si cette mention « roman » avait pour fonction « d’ouvrir de parapluie », c’est-à-dire de protéger l’auteur de critiques qui relèveraient des imprécisions historiques ?
Ce genre littéraire est nécessairement voué à la circonspection. Trop historique pour en faire un bon roman. Trop épique pour être retenu comme biographie. Il n’en demeure pas moins un ouvrage d’une bien belle écriture, qui permettra au néophyte de découvrir au sein des « héros » du IIIe Reich un personnage fort peu conforme aux canons de l’idéologie nazie.
Philippe Ballarini
* Generalluftzeugmeister : fonction davantage qu’un grade. Approximativement « Chef des services d’étude, de développement et d’essais des appareils ». (Remerciements à Frédéric Domblides)
* Luftwaffe : Armée de l’air allemande du IIIe Reich.
384 pages, 15,3 cm x 23,5 cm, couverture souple
0,648 kg