Le livre du général Salini est étonnant … Présenté en quatrième de couverture comme un recueil de souvenirs dédié à la mémoire des navigants tués en service aérien commandé entre 1950 et 1970, ce livre change de ton au fur et à mesure qu’on progresse dans sa lecture. On pourrait presque dire qu’il prend peu à peu de la hauteur … Il est composé en fait de trois nouvelles. La première se situe durant le tour d’opérations de l’auteur en Indochine, alors qu’il vole au sein du « Languedoc » sur Bearcat : on plonge dans la vie d’une unité de combat engagée dans le soutien des troupes au sol dans le delta du Tonkin, à travers les mille détails quotidiens d’un pilote de chasse, au sol comme en vol. On y vit notamment la perte tragique du Commandant Brunschwig, patron du 2/8, abattu par la DCA le 16 mai 1953 ; plus loin encore, un portrait vivant et peu conventionnel du Lieutenant-colonel Brunet, « Félix », le commandant de base de Cat-Bi, « tout en gueule » et toujours dans l’action et l’initiative, nous est brossé sur le vif. Cette première partie intitulée Cinq piastres demeure dans le registre du récit de guerre classique, avec quelques retours sur le passage en école de l’intéressé.
Accident aérien constitue le deuxième récit, alors que l’auteur est en poste aux Opérations d’une escadre de chasse sur Mystère IVA, dans l’est de la France. Il y est confronté à un accident mortel difficile à élucider. Si nous suivons de loin l’enquête, nous sommes également confrontés aux sentiments de l’auteur, face aux conséquences humaines de cette perte. Toutefois, les détails donnés (identité, date, numéro de l’appareil, lieu, unité …) nous placent dans un récit volontairement fictif, peut-être par pudeur vis à vis de la famille d’une victime réelle d’un accident similaire, un ami peut-être proche de l’auteur. Cet événement tragique est surtout l’occasion pour l’auteur de nous livrer, plus encore que dans la première partie, ses sentiments sur l’engagement personnel d’un pilote militaire, tant politique que citoyen.
La troisième et dernière nouvelle, À la mémoire du capitaine H., est la plus déroutante des trois … Sans en dévoiler le dénouement que le lecteur ne pressent en rien, précisons qu’elle se situe à Cazaux, alors que l’auteur est en poste à la 8e EC, sur Mystère IVA. Pour clôturer son livre de souvenirs de près de 300 pages, l’auteur raconte, dans un style vivant et sans détour littéraire, une mission d’entraînement sur cible remorquée qui se termine par une éjection. Mais ce n’est pas là la fin de l’histoire et chacun pourra interpréter comme il le veut les dernières lignes … Ce dernier « récit » donne au livre une dimension presque mystique qui devrait en dérouter plus d’un, mais qui reflète les réflexions profondes d’un grand Ancien de l’armée de l’Air, un « vieil homme » comme il se qualifie lui-même : « un pilote de chasse, ce n’est pas seulement un robot chargé d’appliquer des procédures […] c’est aussi un homme avec ses joies, ses douleurs, sa peur ou sa colère ». Voilà donc un livre qui pourrait bien intéresser et les amateurs de récits historiques aéronautiques, et ceux qui s’interrogent sur ce qui peut bien motiver ou faire douter un pilote militaire, tout au long de sa carrière.
Bernard Palmieri
L’auteur :
Le général de division aérienne Jean-Paul Salini est résistant à 14 ans (Corse, 1943), entre à l’École de l’air en 1948, participe aux opérations en Indochine, à Suez et en Algérie ; commandant d’escadrille, d’escadron puis d’escadre, il commande la base aérienne de Tours puis est affecté au 1er CATac et au SGDN ; il quitte le service actif en 1981 et se retire en Corse.
280 pages, 16 x 24 cm, broché
0,467 kg