Dix-neuf secondes…

Jean-Pierre Milan

Voici un petit ouvrage inhabituel. C’est la première fois qu’un livre vient nous raconter un vol de dix-neuf, mettons jusqu’à trente-six secondes puisqu’il y a quatre machines en l’air et qu’il faut bien laisser tout le monde se poser. Car voici une espèce de contre-enquête, 53 ans après les faits, sur un accident survenu à Vinon/Verdon, au cours du décollage en remorqué multiple (*) de trois planeurs tirés par un puissant avion remorqueur. Cet accident entraîna la mort d’un jeune pilote de vol à voile, âgé de seulement 21 ans mais déjà très prometteur. Rassurez-vous, nous ne divulgâchons (**) rien, le triste sort du jeune vélivole est révélé par un simple coup d’œil à la quatrième de couverture. Le lecteur sait donc qu’il aura beau attendre de tous ses vœux un miracle, l’issue fatale est annoncée, comme dans une tragédie grecque.

A cette époque l’auteur, Jean-Pierre Milan, n’est encore qu’un tout jeune pilote, et ne compte qu’une quarantaine d’heures de vol. Mais c’est avec le regard du professionnel à la longue expérience qu’il devint par la suite, qu’il retourne dans le passé vers cet accident qui a endeuillé sa jeune existence. La victime, Michel Moutte, son aîné d’à peine deux ans, avait été quelques années plus tôt son mentor, celui qui l’avait introduit dans le monde de l’aviation. C’était son ami. Si le livre est bien écrit, on sent qu’il sert d’exutoire à cette peine enfouie depuis bien longtemps mais toujours si vivace.

Le narrateur décrit les circonstances du drame, en dépeint les personnages, s’arrête sur les machines utilisées. Il glisse de temps à autres dans le texte, en italique, quelques explications quant à la mécanique du vol ou aux termes utilisés par les pilotes. Pour le chapitre racontant la survenue de l’accident, il utilise un effet de ralenti sur image, vu par différents acteurs, séquencé presque seconde par seconde. Puis, dans le reste du livre, consacré principalement à enquêter sur l’enquête, Jean-Pierre Milan tente de relever des responsabilités qui semblent avoir été un peu négligées à l’époque, et lance un réquisitoire contre la technique du remorqué multiple (*) , surtout mal gérée comme ici.

A part l’illustration de la couverture, représentant Michel Moutte à Vinon cette année-là, on ne trouve pas de photos dans l’ouvrage. Cependant 5 dessins de la main de l’auteur viennent illustrer les positions relatives des appareils concernés.

Beaucoup de temps est passé et pas loin de là, sous le pont de Mirabeau coule la Durance… (***)

On sent que l’exercice de contre-enquête a ses limites. On aimerait lui donner les moyens d’aller plus loin, comme dans un épisode de série télévisée traitant de « cold cases », ces cas judiciaires restés non élucidés. Mais on sait que la plupart des intervenants, acteurs, témoins de la scène et enquêteurs, ont aujourd’hui disparu. Alors nous resterons sur des hypothèses fort probables, et sur une situation qui, bien des années plus tard pourrait servir à illustrer un cours sur les facteurs humains.

Mais ce n’était pas encore la mode de ces termes, et tel Monsieur Jourdain, le petit monde de l’aviation de 1967 souffrait déjà de facteurs humains, mais il n’en savait rien.

Jean-Noël Violette

Notes :
* Remorqué multiple (double, triple) : habituellement, un avion ne remorque qu’un seul planeur. Dans des circonstances particulières, il est possible de faire remorquer plusieurs planeurs, étagés en hauteur et espacés latéralement, par un seul avion.
** Divulgâcher : spoiler pour les inconditionnels de l’anglais.
*** Le village de Mirabeau est voisin immédiat de l’aérodrome de Vinon, où confluent la Durance et le Verdon. Le panneau « Pont de Mirabeau » sur l’autoroute fait penser à un poème de Guillaume Apollinaire.


75 pages, 13,5 x 21,5 cm, couverture souple, 115 g
Pas de photo, mais 5 dessins explicatifs en noir et blanc

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Jean-Pierre Milan, auto-éditeur

ISBN 979-10-699-4194-6

Prix 9 € + forfait frais d’envoi 3,50 €