Vous êtes ici : Multimédia   

Dogfight [DVD]

Un combat de chien
Jacques Besson

Documentaire

Vous vous attendiez à des combats tournoyants d’avions numérisés effectuant des voltiges dignes du X-Wing de Luke Skywalker, des explosions multicolores aussi synthétiques que les torrents d’hémoglobine ? Vous n’y êtes pas, mais vraiment pas du tout.

Dogfight – Un combat de chien (un titre pas très adapté, force est de le reconnaître) est un documentaire. Il a ceci de particulier qu’il est à cent lieues des approximations et autres fanfaronnades cocardières que nous avons généralement à subir dès qu’il s’agit d’aviation US. Ce documentaire est construit d’une manière qui ne laisse aucune place à la coutumière suffisance chauvine chère aux documentaires de l’Oncle Sam.

Le Texan Bob Izzard débarqua à Liverpool le 24 mars 1944, après quatorze mois d’entraînement aux États-unis. Comprenant qu’il ne pourra guère écrire souvent à sa famille, il décida de consigner son quotidien dans un journal. C’est ce document, souvent très personnel, qui sert de trame au documentaire.

Le premier point qui frappe, c’est le soin apporté par le réalisateur à éviter les erreurs chronologiques (entre autres). Par exemple, si au début du film, les « Jug » sont des « Razorback », ce n’est qu’à la fin du film (ce qui correspond à 1945) qu’on voit apparaître les « Bubbletop ». Le ton du journal est franc et direct : « 24 mars 1944. Nous allons enfin débarquer à Liverpool après avoir traversé l’Atlantique serrés comme harengs en caques*. Moi, Bob Izzard, natif d’Amarillo au Texas, je serai peut-être dans quelques heures aux commandes d’un de ces bidons à lait qui arrivent des États-unis soigneusement emballés dans les soutes des Liberty ships. La première fois que j’ai vu un P-47, j’ai envié les pilotes qui avaient choisi le Mustang, avion de chasse plus séduisant. Ce n’est qu’après mon premier vol que je suis tombé amoureux fou de ce zinc… »

D’emblée, l’image colle au texte… et ce sera ainsi tout au long de la petite heure que dure le film, sans guère de faux pas. Préparation au débarquement, missions d’escortes de B-17 et de B-24, participation au D-Day avec noria de C-47, camarades qui sont blessés ou ne reviennent pas. Peu de temps après le 6 juin, c’est un Bob Izzard encore inexpérimenté qui doit s’éjecter au-dessus de la terre normande tenue par les Allemands. Pris en charge par des Résistants, il parvient in extremis à rejoindre ses lignes du côté de Falaise. Concert de Glenn Miller, rencontres amoureuses… et le combat reprend au-dessus de Bastogne et de Colmar, puis de l’Allemagne. On trouvera beaucoup de vues de cinémitrailleuse, mais le journal ne se limitant pas à la « vie aérienne », c’est une quantité d’autres facettes de la vie du pilote en opération qui défilent sous nos yeux.

Peu à peu, le ton change. La couleur apparaît dans le film alors que le texte s’assombrit, s’imprègne de mélancolie et de lassitude, voire d’écœurement à la découverte des camps de concentration. « 30 mars 1945. Nous sommes royalement payés, mais nos nerfs sont mis à rude épreuve. Je totalise 154 heures de vol. J’aimerais que tout cela s’arrête. Aujourd’hui, il y a une lettre pour moi. Expéditeur : la Croix Rouge… »

On perçoit nettement au fil des minutes qui s’égrènent que Bob Izzard est en train de perdre pied, qu’il n’est plus l’innocent mais vaillant combattant de mars 1944. Il aura suffi d’un an pour l’user : « J’ai beau me répéter : j’ai sauvé ma peau, j’ai toute ma vie devant moi, ça ne marche pas. Seul au bord de cette piste devenue inutile, j’ai brusquement l’impression d’avoir pris un sacré coup de vieux ! »

Un an de la vie d’un pilote de P-47 de l’USAAF résumé en une heure. Cela peut paraître illusoire, mais le journal de Bob Izzard est d’une réelle intensité et d’un crescendo dramatique quasi-théâtral… sauf que nous ne sommes pas dans la fiction.

Remercions l’équipe qui a su illustrer ce précieux témoignage avec des images qui « collent » parfaitement au texte, à tel point qu’on les croirait tournées à cet effet, alors qu’elles proviennent bien évidemment de la NARA pour la plupart et du Bundesarchiv pour quelques-unes. Encenser ce documentaire (dont la version originale date de 1999) serait excessif, mais au regard de tant et tant de niaiseries mensongères que nous déverse quotidiennement le petit écran, le présenter comme enrichissant et réussi est la moindre des choses.

Puisqu’il n’est pas d’éloge honnête sans objection, on regrettera les petites zébrures qui, dues à la numérisation de l’image, apparaissent parfois. Également, le titre et sa traduction ne sont pas nécessairement très heureux. C’est peu de critique négative pour un document qui a incontestablement sa place dans la vidéothèque d’un passionné d’aviation militaire… ou tout simplement d’Histoire. Nous vous le recommandons sans réserve.

Philippe Ballarini


France 1999 première édition, 56 min., n&b et couleur

DVD 5 Pal toutes zones

double version française et anglaise

Mise en garde : Certaines séquences peuvent heurter. Nous déconseillons ce film aux enfants de moins de douze ans.


* caque : à l’origine, barrique dans laquelle sont entassés des harengs ébreuillés (vidés) et salés. Être serrés comme harengs en caque = être serrés comme des sardines.

Ouvrages édités par
En bref

K-Films

20 €