Personnellement, il est rare que je prenne autant de plaisir à lire une biographie. Mais qui donc avait le caractère assez trempé pour se permettre de donner sa démission à Marcel Dassault, de renoncer à une formidable place de chef pilote d’essais pour retourner dans l’armée combattre en pleine guerre d’Algérie? Sans parler de la perte de salaire, sujet que l’intéressé n’aborde pas… Et pourtant, un tel personnage a existé, c’est Roland Glavany ! Mieux encore, il est encore là pour porter un témoignage passionnant sur des époques sur lesquelles il porte un regard très personnel.
De prime abord, j’ai d’abord cru à la lecture de la couverture, que Roland Glavany s’était appuyé sur le talent du journaliste Bernard Bombeau pour rédiger ses mémoires. En fait il n’est rien. D’ailleurs, à la lecture de ses textes, on se rend compte immédiatement que le général n’a pas besoin d’aide pour la rédaction ses textes. Lorsque j’ai lu dans l’introduction que cela se lisait comme un roman, je pensais qu’il s’agissait juste d’une formule un peu galvaudée. Mais non, il a entièrement raison : ce livre ne se lit pas, il se dévore ! Et pas seulement par des passionnés d’aviation.
Roland Glavany, bien connu comme pilote d’essais des Mirage, a eu une carrière particulièrement hors du commun. En lisant ce livre, on en découvre non seulement le déroulement, mais à travers ses observations critiques et ses appréciations très personnelles, on comprend mieux ses orientations de carrière et ses décisions si étonnantes. Et le tout est écrit avec des mots simples et percutants, portant des jugements sans appel, orientés avant tout par des soucis d’équité, au détriment sans concession au « politiquement correct »…
Et le rôle de Bernard Bombeau dans tout cela ? En plus du texte brillant de l’auteur, Bombeau vient enrichir certains chapitres d’informations historiques permettant de mieux embrasser le contexte des récits vécus de l’intérieur. Ces suppléments sont clairement identifiés par une mise en forme différente du texte. Cette formule marche très bien et l’on apprend beaucoup à ce complément de lecture. Seul le chapitre sur l’histoire du CEV comporte quelques approximations bien surprenantes de la part de Bernard Bombeau, grand connaisseur de l’Aviation aussi bien que de son histoire. Heureusement, il ne s’agit que de détails mineurs et cela ne nuit pas véritablement à l’ensemble.
La première partie de cette autobiographie est consacrée à ses faits de guerre au sein du 1er bataillon de choc. Sans chercher à défier quiconque, il ne se voile pas la face derrière des vérités convenues. Il rappelle par exemple que, si c’est de Gaulle qui, par son appel à poursuivre le combat malgré la reddition de l’État français, a suscité de nombreuses vocations, dont la sienne, certaines unités combattantes n’ont pas démérité par rapport aux FFL et ont toujours eu, comme eux, un seul but : combattre pour libérer la France de l’envahisseur. C’est ainsi que, pour rejoindre au plus vite le cœur du combat, Glavany a opté pour des unités qui ne dépendaient pas du Général, mais partaient immédiatement au feu, indépendamment de quelques querelles de chefs auxquelles il n’accorde guère d’importance. Glavany raconte ainsi les actions « commando » auxquelles il a participé lors de la libération de la Corse et de l’île d’Elbe, avant le débarquement de Provence.
Son caractère tranché, ses appréciations portées sur les personnes, y compris les grands noms qu’il a côtoyés, sont un régal à découvrir. On comprend mieux ses positions sans compromis, ses amitiés fidèles, ses priorités personnelles. Et cela se retrouve à toutes les étapes de sa carrière, dans les hauts comme dans les bas.
Puis il aborde son entrée dans le milieu de l’aviation d’essais, au CEV d’abord, avec notamment les essais du Vautour, puis chez Dassault. Les chapitres sur les prototypes de ce constructeur sont courts, mais le témoignage coup de poing vécu de l’intérieur se montre particulièrement pertinent. Quel régal ! Puis arrive le retour dans l’armée, avec des appréciations très personnelles concernant la guerre d’Algérie. Là encore, pas de langue de bois, mais du vécu, par un homme très entier et fidèle à ses idées. La suite est évoquée plus succinctement, mais le passage au BPM permit à Glavany de renouer à nouveau avec le milieu des projets et prototypes d’avions français, dont ceux de Dassault occupaient évidemment une place privilégiée. L’auteur termina sa carrière militaire comme patron des écoles de l’air.
En fin de compte, je n’ai qu’un seul véritable reproche à faire à ce livre : il est trop court, trop vite lu. Arrivé aux dernières pages, on voudrait qu’il continue encore. Bon, j’arrête d’en parler, lisez-le, c’est le mieux que je puisse vous conseiller.
Philippe Ricco
258 pages, 14 x 19 cm, broché avec rabats
Deux cahiers photos
– En collaboration avec Bernard Bombeau
– Préface de Serge Dassault