Coup de cœur 2011 |
Dans ce livre particulièrement dense et absolument passionnant, 21 auteurs font état de leurs réflexions sur le devenir prévisible, en 2025, de l’Armée de l’Air française dans le cadre européen. Ils posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses, ce qui est bien normal compte tenu du sujet. Je prendrai ces contributions, aussi riches les unes que les autres dans le désordre.
En ce qui concerne la prospective en général : « Gardons nous de préparer la prochaine guerre à la seule lumière des derniers conflits. Mais gardons nous également de ne pas tirer tous les enseignements de ces mêmes conflits », déclarait en 1936 John Slessor qui fut dans les années 1950 chef d’État-major de la RAF.
Que d’évolutions les armées de l’air vont devoir affronter à l’échéance 2025 ?
La guerre future ne se déroulera plus sur un champ de bataille mais au sein d’un environnement de plus en plus complexe en milieu urbain, montagneux ou de jungle. En 2025, près de 60 % de la population mondiale sera urbanisée, soit dans des immeubles créant des canyons aux accès difficiles, soit dans des bidonvilles inextricables. La composante civile devenant de plus en plus importante, la prévention des dégâts collatéraux imposera que les munitions, téléguidées soient déposées avec la plus grande précision. Notons au passage que ces munitions, le plus souvent non létales, seront dotées d’une adresse IP, qu’elles seront programmées en vol et évolueront dans un cyberespace objet de toutes les convoitises.
L’avion de la 5e ou de la 6e génération, qui mettra plus de 20 ans à être développé, sera optionnellement piloté. À furtivité variable, il sera doté d’une motorisation à divers cycles. Il embarquera des équipements et de munitions très divers et pourra être porteur de missiles. Quand aux drones, ou engins à pilotage déporté, sauront-ils reconnaître le bon du méchant, voire le bien du mal ?
Et l’Homme dans ce schéma ? On aborde ici la partie qui m’a le plus passionnée de ce livre, que l’on doit au capitaine Emmanuel Goffi : « Morale, éthique et puissance aérospatiale ». Si la guerre sans mort n’est pas possible, les dégâts collatéraux sont de moins en moins admis. « La distanciation qui caractérise l’arme aérienne est en effet considérée comme un facteur moralement déresponsabilisant ». Déjà l’Église catholique condamnait l’usage de l’arbalète* au XIIe siècle, les archers et arbalétriers étant considérés alors comme des couards. L’usage de système évoluant dans la troisième dimension peut être perçue comme un manque de courage et une preuve de faiblesse, notait le général Petraeus. Qu’en sera-t-il des drones manoeuvrés avec des joysticks, comme des jeux sur écrans d’ordinateurs, et qui saura faire la part entre virtualité et réalité ? « Man in the loop » ? L’homme restera le seul à décider de prendre la moins mauvaise décision. Est-il légitime de blesser son adversaire sans partager le risque d’être atteint soi-même ? « Il est intéressant ici de se demander ce qui distingue sur le plan moral, la volonté clairement affichée de certaines nations d’extraire le combattant du champ de bataille pour assumer sa sécurité et le recours aux explosifs commandés à distance par les insurgés ». Il faudrait tout rapporter de ce travail.
Comme il est fait état dans cet ouvrage, la situation des armées de l’air de la Russie et des États-unis d’Amérique est décrite en détail. J’insiste tout particulièrement sur l’impact de la géniale troïka Arnold – von Karman – Spaatz, qui dès la création de l’USAF en 1947 a mené cette armée aérienne au sommet mondial. Cette institution forme non seulement ses aviateurs, mais aussi ses savants et ses ingénieurs, et ceci explique cela. Ce propos, qui m’est propre, tient à préciser que quelle que soit la qualité de la prospective, elle n’aura d’effet que si elle est accompagnée des moyens de ses ambitions.
Envol vers 2025 s’avère un ouvrage excellent, avec une bibliographie importante et cinq index très pertinents.
Philippe Bauduin
272 pages, 16 x 24 cm, broché
– Préface du général d’armée aérienne Jean-Paul Paloméros, chef d’état-major de l’armée de l’air
– Postface du général de corps aérien Denis Mercier, chef du cabinet militaire du ministre de la Défense et des Anciens combattants
Coup de cœur 2011 des aérobibliothécaires
* Le deuxième concile du Latran (1139) interdisait l’usage de l’arc et de l’arbalète à l’encontre de chrétiens.