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Erbo, pilote de chasse 1918-1942

August von Kageneck

« Le chef de section marchait en tête, seul, suivi à une distance respectueuse, de trois assistants et d’un étendard, et plus loin encore, des trois groupes, le tout réunissant une trentaine de garçons. Marcher seul devant sa troupe, la casquette vissée sur l’oreille droite, la main gauche passée dans le ceinturon, la main droite exerçait des mouvements secs et précis, les yeux fixant un but lointain, les lèvres serrées, la tête pleine d’ivresse et d’orgueil, c’était pour Erbo un nouveau jeu, un nouveau défi enivrant, en rien comparable aux jeux innocents de son enfance! » Ces quelques lignes qui transpirent d’admiration pour Erbo von Kageneck sont extraites de l’ouvrage Erbo, pilote de chasse 1918-1942 d’August von Kageneck, son frère cadet. Mieux vaut le dire tout de suite : cette biographie rédigée dans un style sobre et agréable n’a rien d’une hagiographie.

La première page s’ouvre sur l’accident d’avion en plein désert de Libye, qui sera fatal à Erbo von Kageneck, titulaire de 67 victoires aériennes homologuées et chevalier de la Croix de Fer avec feuilles de chêne. Autant dire un pilote émérite qui n’aspire qu’à une seule chose : obtenir la 20e victoire qui lui octroiera la fameuse Ritterkreutz. En cette veillée de Noël, porteuse de tous les espoirs, et alors que l’Allemagne victorieuse chante Stille Nacht, heilige Nacht, la vie d’Erbo s’échappe à grands flots d’entre ses jambes. L’appareil et son pilote ont été frappés par des balles au même endroit, le ventre. Il ne reste à Erbo que trois semaines à vivre.

Tel l’agonisant se remémorant les plus grands moments de sa vie, l’auteur retrace les 24 années de son frère, de sa naissance difficile à sa fulgurante carrière de pilote de chasse. Dès son premier cri le 24 avril 1918, Erbo, Arbogast pour l’état-civil, mit à exécution la sentence que prononça sa gouvernante lorsque le médecin parvint à délivrer la parturiente d’un fardeau qui refusait de passer par les voies naturelles : « Il va vous donner du fil à retordre, Madame la Comtesse ».

Son père, de noble lignée, a accepté de bonne grâce la défaite et la nouvelle République. En bon nouveau démocrate, il choisit un parti décidé à prôner les valeurs traditionnelles du peuple allemand, où le christianisme défendrait la famille et le mariage, et où le droit et l’ordre l’emporteraient sur les extrêmes. Comme la majorité de ses concitoyens, il adhère aux idées d’un certain Adolf Hitler qui harangue la foule pour tordre le cou au Traité de Versailles, synonyme de chômage et de ruine économique. En bon père de famille, le comte von Kageneck prend un soin tout particulier à éduquer sa progéniture selon ses convictions d’homme noble attaché à la terre, chrétien et tolérant. Il confie ses quatre fils aux Jésuites réputés pour la rigueur de leur enseignement. Erbo s’avère très rapidement récalcitrant à toute discipline et aucune punition ne peut venir à bout de ce « chien fou ». Par contre, il excelle dans de nombreuses activités sportives, l’équitation, le tir, la course, le tennis et la natation, au point que ses exploits forcent l’admiration de son père et sa fratrie.

Pendant ce temps, la République de Weimar vacille. Plusieurs fois appelés aux urnes, 80 millions d’habitants ne savent plus à quel saint se vouer. Tous sauf un : Adolf Hitler « investi par la Providence ». Le chiffre de ses sympathisants s’est multiplié de façon exponentielle depuis le début de la crise. Succombant au chant des sirènes et aux promesses alléchantes d’un nouveau Reich « qui durerait 1 000 ans », tous les désoeuvrés, les laissés-pour-compte et les indécis sont venus gonfler les rangs du national-socialisme. En janvier 1933, « après [son] combat de quatorze années », Hitler accède au Reichstag, quinzième et dernier chef du gouvernement. Ce coup de grâce donné à la république agonisante marque le début des premières interdictions et des premières sanctions contre les opposants au nouveau régime.

Étouffant dans son collège de Jésuites, Erbo s’engouffre avec enthousiasme dans la Hitlerjugend, ce qui lui évite d’avoir à « faire le mur » pour rejoindre ses conquêtes féminines. Excédés par son indiscipline, et après un ultime avertissement, les pères décident d’exclure le fils du comte von Kageneck, lui-même ulcéré par les frasques d’un rejeton qui donne « tant de fil à retordre » et si peu conforme à ses convictions.

Depuis 1936, Hitler a rétabli la conscription. Dès son dix-huitième anniversaire, Erbo est expédié dans un camp à Morbach plus apte à satisfaire sa soif d’aventures. Il rêve d’intégrer la nouvelle Luftwaffe, encore balbutiante mais promise à un bel avenir. Dans cette « école de la virilité » , Erbo travaille, s’endurcit et s’assagit. À l’été 1938, il réalise enfin son premier vol sur un Arado 25. Le 1er septembre 1939, le lieutenant von Kageneck de la Jagdgeschwader 27 est expédié sur la frontière polonaise et participe à la Blitzkrieg. Dans une lettre adressée à ses parents le 8 du mois, il exprime sa frustration de chasseur bredouille. « Je n’ai pas eu un seul oiseau devant mon fusil. C’était à désespérer du sens de notre combat. Rien que des attaques au sol ou des missions d’escorte des Stukas. » Par la suite, ses missions jalonnées de victoires le porteront en France, en Angleterre, en Yougoslavie, en Grèce, en Russie et enfin en Libye. Dix-huit mois de guerre, dix-huit mois de gloire avant de tomber pour le Reich.

Écrit à partir de souvenirs personnels et de correspondances familiales, l’ouvrage d’August von Kageneck est intéressant à double titre : la vie d’un as de l’aviation allemande et une vision exempte de passion nationaliste ou politique sur les années qui ont vu la poussée irrésistible du national-socialisme puis sa toute puissance au sein du Reichstag.

Corinne Micelli


236 pages, 11 x 18 cm, couverture souple

NDLR : Cet ouvrage est une réédition. Il était paru chez le même éditeur en 1999 et était épuisé.

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ISBN 978-2-262-02878-7

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