Il y a des livres dont on se félicite, davantage que pour d’autres, de les voir paraître. C’est le cas de cet historique du « Franche-Comté », dont j’ai eu le plaisir de rencontrer à de nombreuses reprises l’auteur, Jean-Michel Biscarat, pouvant ainsi suivre l’évolution de son travail avec beaucoup d’attention.
Bien que n’étant pas historien de formation, Jean-Michel Biscarat a adopté d’emblée la méthode adéquate : rendre visite aux anciens, consulter avec assiduité les archives officielles pour croiser les informations, critiquer les sources et s’intéresser aux publications antérieures sur les sujets proches. La bibliographie et les sources référencées, mentionnées à la fin du livre, ne dépareilleraient pas un travail universitaire pourtant bien éloigné de la spécialité de l’auteur, mécanicien navigant sur C-130 Hercules… au « Franche Comté ». Cette accumulation d’informations et de documentation a rapidement montré que ce qui ne devait être à l’origine qu’une plaquette historique d’escadron, prendrait une ampleur d’un autre ordre.
On peut imaginer la difficulté de mener à bien cette aventure pour un auteur que le métier et les missions ont entraîné dans bien des endroits un peu « chauds » (et pas forcément en raison du climat). De retour en France, il lui fallut sans doute bien de la volonté et de la passion pour se plonger dans les archives de l’unité. Contrairement à celle d’une unité de chasse, l’histoire d’un escadron de transport, fût-il le Franche-Comté au parcours long et trépidant, est un sujet qui n’est pas réputé avoir la faveur du public. Il faut donc rendre hommage à Avia-Éditions pour avoir pris le risque d’éditer cet ouvrage.
Si le transport est un peu le parent pauvre de l’historiographie de l’aviation militaire, on s’aperçoit à la lecture de ce livre à quel point ces missions logistiques sont cruciales et combien il est temps de cesser de considérer le transport comme une mission militaire secondaire, ce que nous rappelle ce livre, en plus d’une histoire complète.
Résumer le Franche-Comté tient en une locution : de Verdun à Douchambé, le grand écart ! Mais l’intérêt de l’histoire de cette unité, c’est d’avoir œuvré dans plusieurs domaines. Originellement unité de bombardement, elle conserve ce rôle jusqu’à la fin de la seconde Guerre Mondiale, avant de devenir unité de transport. À ce titre, elle a volé sur plus d’une vingtaine de types d’avions, du Farman HF-20 au C-130 Hercules, appareil dont elle est la seule dotée en France. Et ce ne sont pas les « avions de légende » qui manquent à l’appel : Breguet XIV, Potez 63, Bloch 174, B-26 Marauder, Douglas DC-3, AAC-1 Toucan, Noratlas… et Transall bien sûr !
Comme il est de mise pour un bon livre de ce type, les annexes sont étoffées : liste détaillée des missions de guerre, commandants d’unités, terrains de stationnement, insignes et héraldique, fiches des avions employés. On notera que les profils couleurs publiés sont de Gérard Paloque, lui-même un ancien de l’escadron.
Ce livre évoque donc les avions et les missions de l’unité, mais également, et c’est là un de ses grands mérites, les hommes et les petites aventures qui illustrent la grande histoire. En renfort d’un récit très factuel puisé aux meilleures sources, dont les journaux de marche, une kyrielle de photos viennent apporter leur lot d’informations. Ces images proviennent d’une multitude de sources, et on y trouve de bonnes surprises, en particulier ces images rares en couleur datant de la guerre d’Indochine.
Il existe au sein de l’armée de l’Air, de nombreux aphorismes savoureux, tels que « Les chasseurs écrivent des histoires, les bombardiers font l’histoire ! » On pourrait ajouter que le transport aérien militaire écrivit parfois l’histoire telle qu’elle devait se dérouler, mais que parfois sa faiblesse en a changé le cours. C’est le cas lorsqu’on évoque Dîen Bîen Phu, où le Franche Comté a tout tenté pour ravitailler la garnison encerclée avec ses DC-3. Et le chapitre « Indochine » n’est pas le seul à recéler des trésors ; les découvertes se font de page en page et lorsqu’on s’intéresse un tant soit peu à l’histoire de l’aviation militaire (et a fortiori française), il paraît peu concevable de passer à côté de cette mine.
Originalité du sujet et qualité du travail, alliés à une réalisation technique agréable (belle impression, qualité du papier, lisibilité et mise en page). Ce livre est un candidat désigné au « coup de cœur », que nous délivrons avec une parcimonie qui confine à la radinerie, mais comme nous avons (même modestement) participé à la genèse de cet ouvrage en mettant l’auteur en contact avec son éditeur, ceci nous paraît déontologiquement difficile aujourd’hui. Nul doute pourtant que la meilleure récompense pour l’auteur et l’éditeur serait de voir ce livre entrer dans vos bibliothèques. Il nous paraît légitime de considérer que le travail de Jean-Michel Biscarat mérite amplement un prix littéraire ou historique ; ce serait particulièrement mérité.
Frédéric Marsaly
– 328 pages, 210 x 297 mm (A4), relié
– plus de 400 photos noir et blanc et couleur
– Profil couleurs de Gérard Paloque