Voici un petit livre étonnant qui n’est pas ce à quoi il ressemble. Une biographie de Pierre-Georges Latécoère ? Pas tout à fait, comme nous le verrons. Et puis, il y a cette date dans le sous-titre : 11 avril 1927, qui ne parlera qu’à l’amateur averti. C’est celle de la cession des Lignes Latécoère à l’homme d’affaires Marcel Bouilloux-Lafont. Ce jour-là, la « Ligne » qui reliait Toulouse à Dakar quitte les mains de Pierre-Georges Latécoère pour se préparer à prendre son envol pour l’Amérique du Sud.
La rédaction d’une biographie est un exercice périlleux, en particulier quand elle répond à une demande d’un membre de la famille, comme c’est ici le cas*. Difficile de se montrer impartial et d’échapper au risque de l’hagiographie. Jacques Arnould, visiblement conscient de ce piège, a cherché à l’éviter en imaginant ― et il précise bien le caractère fictionnel de son ouvrage ― Pierre-Georges Latécoère « dans les heures qui précédèrent la cession de sa Ligne à Bouilloux-Lafont, le 11 avril 1927 ». Une fiction, sans doute, mais tout de même pas un roman : le lecteur n’aurait guère de peine à séparer les faits avérés et les (agréables) petites digressions par lesquelles l’auteur donne quelques traits d’humanité à son personnage, et également met en lumière certains aspects moins connus de Pierre-Georges Latécoère, comme son goût pour la littérature antique, les belles reliures, les demeures élégantes… les jolies femmes.
Le livre est abondamment illustré de photographies toutes issues de la collection Latécoère, images en noir & blanc et en pleine page, généralement connues des « aérophiles » avertis mais que le « grand public » découvrira avec intérêt. Cette iconographie (parfois en double page) occupe pas moins d’un tiers de l’ouvrage.
Si l’ouvrage n’apporte que peu de chose au lecteur averti, il marquera néanmoins un point ― et de taille ! ― dans la littérature que l’on pourrait regrouper sous le vocable « Courrier sud« . Une fois n’est pas coutume (en particulier dans un livre destiné au « grand public »), l’auteur ne tombe pas dans le panneau classique et coutumier qui place l’Aéropostale sous la houlette de Pierre-Georges Latécoère. En ce sens, ce livre d’allure modeste fera date.
L’auteur se tire plutôt bien d’un sujet que l’on aurait pu considérer comme parsemé de chausse-trapes. Il a su éviter ce qui aurait pu jeter une ombre sur le « héros » de l’ouvrage, mais sans pour autant tomber dans la fable coutumière avec citations à l’emporte-pièce. Somme toute, un petit livre très sympathique, qui mérite d’autant plus qu’on lui accorde de l’intérêt que la plume qui l’a rédigé se montre plaisante, agréable et alerte. Et puis, un autre regard sur Pierre-Georges Latécoère, cela mérite qu’on s’y arrête.
Philippe Ballarini
192 pages, 13 x 18 cm, broché
0,274 kg
* page 12 : « Pressé par Marie-Vincente Latécoère d’écrire un ouvrage sur son beau-père, j’ai renoncé à en brosser un nouveau portrait… »
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Privat
Esquiver toutes les embûches du sujet abordé par ce livre relèverait du tour de force. Cette carte, qui figure en page 197, en est une bonne illustration. Extraite d’une publicité datant de 1925, elle est bien évidemment erronée, la ligne Natal-Buenos Aires n’ayant été inaugurée qu’en novembre 1927, et ce non sous l’égide des Lignes Latécoère, mais sous celle de la Compagnie Aéropostale. Contrairement à ce qu’indique la légende, elle ne représente donc pas « L’itinéraire des Lignes aériennes Latécoère », mais un projet. Décidément, le diable se cache vraiment dans les détails.