Coup de cœur 2010 |
Dans le cadre du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), un plan de rééquipement des forces aériennes alliées est décidé par les Américains en 1949 (Mutuel Defence Assistance Program). Ce plan vaut à l’Armée de l’air de recevoir des T-33, F-84G, F-84F et RF-84F, F-86K tout temps, et enfin le North American F-100 Super Sabre, aux faux airs de requin, que présente magnifiquement ce bel ouvrage. Les coauteurs, Éric Moreau et Jean-Pierre Calka, en dressent une éblouissante monographie tout en présentant, par de nombreux témoignages et documents d’époque, la vie opérationnelle d’un avion de chasse étonnant, qui marqua tous les esprits de ceux qui purent le piloter ou simplement l’approcher.
Pendant 20 ans, de 1958 à 1978, à Reims, Luxeuil-les-Bains, Bremgarten, Lahr, Toul et pour finir Djibouti, à la 3e ou à la 11e Escadres de chasse, sa postcombustion déchira l’air et les oreilles des bienheureux qui participèrent à sa saga à la française, en version D monoplace, et F biplace, alors qu’il fut en service dans de nombreux autres pays européens et aux USA. Tour à tour chasseur-bombardier assurant la mission nucléaire tactique, au sein de la quatrième ATAF (Allied Tactical Air Force) sous contrôle américain, puis premier chasseur français capable de se ravitailler en vol et présent sous tous les cieux africains, il finira sa carrière en ETO (Escadre de transformation opérationnelle) pour aguerrir les jeunes pilotes de chasse, avant qu’ils ne rejoignent les unités plus pointues sur Mirage III.
J’ai eu le bonheur de piloter cette belle « bête » guerrière, spacieuse et confortable, qui ne manquait pas de pétrole (donc d’autonomie et de rayon d’action) ni de ressources par ses systèmes d’armes innovants. Imaginez le frisson ressenti en campagne de tir lorsque, quatre canons de 20 mm branchés, on plongeait en supersonique (une première) sur une cible vouée à une inéluctable destruction, ou le stress engendré par les premiers ravitaillements en vol avec une perche coudée qui refusait souvent d’entrer dans le panier oscillant, tendu par le Boeing C-135 ravitailleur… Ces séquences et d’autres, qui donnent une idée de la grande variété des missions de défense aérienne et d’appui feu du F-100, sont racontées et superbement illustrées dans un récit historique passionnant, qui se lit comme un roman, et où les acteurs, pilotes et mécaniciens passionnés et fiers, n’ont pas de mal à susciter intérêt et admiration. Des témoignages illustrés de dessins d’époques parfois humoristiques, tirés des journaux de marche des escadrons, relatent aussi les incidents et accidents marquants de cette période.
Pour les spécialistes, le manuel de vol, ou plutôt le TO (en anglais technical order), est largement ouvert sur des planches donnant tous les détails des différents composants de l’appareil. Tableaux de bord, circuits électriques et hydrauliques, châssis canons et siège éjectable, points d’emport, panoplie d’armements, bidons de carburant, fiches techniques sur les équipements radio et de navigation, répondent largement aux éventuelles questions. Des planches décrivent aussi le circuit d’atterrissage au mémorable point 300 pieds, à partir duquel l’atterrissage mal maitrisé pouvait se terminer dans la barrière d’arrêt en bout de la piste, et pire encore. L’entraînement et la progression des pilotes en vol ou au sol, au simulateur (une première dans l’armée de l’Air), ainsi que les procédures diverses et particulières des missions opérationnelles, sont aussi largement abordés.
Comme toujours dans ce type d’ouvrage, dont Éric Moreau a acquis la totale maîtrise, (souvenons-nous de sa mémorable série sur les Mirage III), il est question de l’immatriculation des appareils et de la vie de chacun d’entre eux, dans ses marquages et ses couleurs. On peut le suivre d’affectation en affectation, de base en base. Camouflé ou pas il est aussi présenté en fin de volume grâce aux superbes plans et profils couleurs de Cyril Defever et de Vincent Dhorne.
Une partie très intéressante explique aussi les aspects plus techniques de l’exploitation de cet appareil, que ce soit au premier échelon de maintenance, sur les bases aériennes, ou pour les grandes révisions à Châteauroux Déols.
On aura bien compris que ce livre remarquable, fruit de plus de dix ans de travail et de recherches historiques, est une véritable référence sur l’avion mythique que fut le F-100 Super Sabre au sein de nos Escadrons de chasse de l’Armée de l’air, ici si judicieusement replacé et présenté dans son contexte historique de la Guerre froide.
Saluons la grande qualité et le sérieux de cette publication qui s’adresse à tout public et qui ravira particulièrement tous les anciens « cochers » et « mécas », contrôleurs, et simples témoins, qui retrouveront « leur F-100 » dans ces belles pages si bien écrites, dessinées, illustrées, et où l’on sent battre le cœur et l’âme d’un appareil auquel je fus, personnellement, très attaché.
Merci à Éric Moreau et Jean Pierre Calka pour ce superbe bouquin qui annonce dans la même série l’arrivée prochaine du Mystère IV et du Super Mystère B2… On piaffe d’impatience !
Richard Feeser
336 pages, 21 x 29,7 cm (A4), relié couverture rigide
Profils de Vincent Dhorme
Plans 1/72 de Cyril Defever
– Coup de cœur 2010 de l’Aérobibliothèque