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Fox India Yankee

Bon vol !
Loïc Carlier

L’autobiographie est un exercice délicat. Il faut parvenir à faire de sa vie un récit, ou au moins en faire ressortir les anecdotes et les éléments intéressants. Pour compliquer l’exercice, les autobiographes ne sont généralement pas auteurs professionnels. Aussi une autobiographie a-t-elle besoin d’un éditeur réellement investi dans le projet, qui saura guider son auteur d’un jour, lui faire retravailler les passages qui ne « collent » pas avec le reste, trouver les fils rouges de son récit, assurer la continuité et l’équilibre du texte — ou bien assumer totalement la liberté de ton et la désorganisation d’un Gérard Feldzer, mais là encore en s’assurant qu’elle ressorte dès les premières lignes afin d’en faire un style à part entière.

C’est le problème de ce Fox India Yankee : l’auteur semble avoir été laissé en roue libre, chargé de coucher ses souvenirs selon un vague plan chronologique où, des quatre parties, une constitue à elle seule plus de la moitié de l’ouvrage ! Nous attribuerons également à un défaut d’édition la rupture stylistique qui sépare les premières pages du reste : l’auteur a sans doute souhaité donner à sa jeunesse un ton plus romanesque, mais cette portion souffre d’une narration quelque peu artificielle. On sent que le reste du récit, plus direct, sans circonlocutions ni prétention littéraire, est bien plus conforme à la voix de l’auteur, celle de l’homme d’un certain âge qui partage simplement ses souvenirs.

Loïc Carlier n’étant pas narrateur professionnel, il lui arrive aussi de mélanger certains éléments. Ainsi, p.79, attaque-t-il une histoire par : « nous étions en vol […] sur un Navajo Chieftain », avant de se remémorer un incident survenu sur un Cessna 206 ! Là encore, il aurait été de la responsabilité de l’éditeur d’expliquer ces défauts de construction pour aider l’auteur à faire le tri… Enfin, ces petits problèmes de continuité sont aggravés par une mise en page très inégale, au point parfois de compliquer singulièrement la lecture : ainsi, p.75, la première anecdote du chapitre se trouve coupée en deux par un saut de ligne, avant que sa conclusion et le début de la seconde histoire s’enchaînent sans même un retour chariot !

Fox India Yankee
Fox India Yankee

Exemple emblématique des problèmes de mise en page de l’ouvrage, en p.75…


La vie de Loïc Carlier est un bel exemple de ce que l’Aviation Populaire a pu créer : toute une génération de jeunes motivés mais pas forcément fortunés a profité de Stampe des surplus pour apprendre à voler, avant d’évoluer sur tout ce que Cessna, Piper et Robin ont produit, des petits vols pour le plaisir en région parisienne aux épopées humanitaires en Afrique en passant par les rallyes aériens dans toute l’Europe. Avec une telle matière, un éditeur motivé, qui aurait pris le temps de guider son auteur et de retravailler avec lui certains passages, aurait pu offrir à l’aviation générale ce que La Guerre vue du ciel est à l’aviation de combat. Hélas, on a plutôt l’impression de lire le premier jet d’un auteur prometteur, mais sur lequel le travail éditorial reste à faire.

Tout cela pour dire que, finalement, Fox India Yankee laisse un goût paradoxal en bouche. D’un côté, c’est un récit personnel intéressant, une suite d’anecdotes souvent un peu décousues mais enrichissantes pour quiconque s’intéresse à l’aviation ; c’est aussi, pour les pilotes, un large « retour d’expérience » à partager sans modération. De l’autre, les discontinuités de ton l’empêchent de vraiment trouver sa voix, et quelques sauts du coq à l’âne ainsi que de gros défauts de mise en page compliquent la lecture.

Franck Mée


127 pages, 15,3 x 24 cm, broché
0,228 kg

Ouvrages édités par
En bref

JPO Éditions

ISBN 978-2-37301-079-4

19,90 €