La BD d’aviation a longtemps été concentrée, en France tout du moins, autour de Jean-Michel Charlier, père de Buck Danny et de Michel Tanguy. Les illustrés de ce temps se devaient de jouer un rôle éducatif, en se prévalant d’une documentation impressionnante et en présentant des héros forts, sans faille, les personnages ambigus n’étant pas très bien vus des censeurs. Coté dessin, l’école franco-belge du moment aimait les gros traits noirs de Uderzo et Hubinon, sur lesquels on appliquait a posteriori une colorisation parfois surréaliste (des aplats de couleur rose pour le ciel, des combinaisons de vol couleur tournesol…).
De manière assez amusante, ces standards tant narratifs que graphiques se sont imposés au point d’étouffer tout le reste. De fait, même des séries récentes comme Biggles (récente… en BD !) ou Missions Kimono reprennent le même genre de graphisme (en un peu moins absurde pour les couleurs, tout de même) et les mêmes recettes (héros forts, situations inextricables dont on se sort comme qui rigole, pas mal de dialogues et d’indications documentaires) — avec, bien entendu, des évolutions qui leur sont propres et qui sont d’ailleurs bienvenues.
C’est dans ce monde-là que Vidal et Garretta sortent, en 1997, le premier Fox One : Armageddon, qui est un petit peu à la BD d’aviation française ce que les Die hard furent au film noir américain. Le scénario fait la part belle à l’action, le beau sexe y est mis en valeur (et pas réduit à une source de gags laverduriens ou de trahisons dannyesques), la documentation amassée par les auteurs est devinée plus qu’imposée…
Quant au dessin, c’est proprement une révolution dans son secteur : peinture au feutre en couleurs directes, très réaliste, quasiment photographique parfois — ça change du menton de Laverdure ou des Mirage qui se tordent en prenant les virages.
Du coup, l’amateur de BD classique (Buck Danny, Les chevaliers du ciel, Michel Vaillant par exemple), qui a l’habitude de se “farcir” trois pages de cartographie sur la bataille de Midway et de chercher la petite bête dans le scénario, risque d’être sérieusement déstabilisé. D’ailleurs, Armageddon inaugurait un truc que je n’avais jamais vu : les héros, ils perdent (enfin, c’est pas si simple que ça, rassurez-vous).
En revanche, l’amateur de BD d’action, ou de trucs un peu plus étonnants (sans vouloir trop en révéler, je crois pouvoir dire que la fin de NDE [tome 3] en surprendra plus d’un) à la limite du fantastique, qui n’a pas l’habitude ni l’envie de ressortir ses cours d’histoire, cet amateur-là vous dis-je, sera inévitablement séduit par le graphisme novateur et extrêmement dynamique de Garretta et par le scénario propice à l’action d’Ayache-Vidal.
Et il appréciera particulièrement de voir les trois volumes parus (la série a été arrêtée en 2002) réunis en un bloc, à l’impression soignée, dont on espère qu’il sera plus facile à se procurer — les précédents albums n’ayant pas toujours été évidents à trouver.
Franck Mée
208 pages, 23 x 31 cm, relié