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François Durafour

Pionnier de l’aviation
Le manuscrit retrouvé
Jean-Claude Cailliez

Nos voisins helvètes n’ont cessé d’être présents depuis les premiers pas de l’aéronautique naissante, côté français. Pour n’en citer que quelques uns, on se souviendra d’Edmond Audemars, pilote genevois et grand ami de Roland Garros, d’Ernest Burri qui s’illustra essentiellement sur hydravions FBA ou encore des frères Dufaux, pilotes et avionneurs. Quant à François Durafour, bien qu’apparaissant discrètement dans certains récits, il demeurait jusqu’à présent un quasi inconnu ; voici un manuscrit écrit vers 1960 de sa main et sorti de l’oubli récemment qui va permettre de lui redonner sa véritable place parmi les pionniers de l’aéronautique mondiale.

Sa vie n’est qu’une série d’aventures bouillonnantes débutant par une solide formation mécanique qui le verra chauffeur d’un ministre roumain, lequel le mènera à travers l’Europe jusqu’en Écosse. Puis, regagnant son indépendance, il part éclairer sa lanterne un court instant à Bruxelles avant de revenir à Divonne-les-Bains où il se lie d’amitié avec René Vidart, le futur second du Circuit Européen de 1911 qui l’embauche comme mécanicien personnel chez Hanriot à Reims. Là, il y fait la connaissance du « gratin » aéronautique en devenir, apprend à voler en cachette sur Hanriot (non sans casse) et passe son brevet le n°320 de l’AéCF (brevet suisse n°3). Ses aventures le mèneront en Suisse où il volera sur Dufaux et établira plusieurs premières en participant à la quasi-totalité des meetings suisses de 1911. Il s’envolera ensuite pour les Amériques et avec son « vieux » Deperdussin, ouvrira les cieux guatémaltèques et salvadoriens où il sera pour les locaux « l’envoyé du diable » sur la « planche qui vole avec un papillon au bout » ; puis après quelques déconvenues new-yorkaises, il regagnera le vieux continent fin 1912. Il y revole sur Dufaux, accomplit de nouveaux exploits et, en 1913, sera essayeur des trop ingénieux moteurs lyonnais Burlat… mais sans lendemain.

Arrive ensuite la Grande Guerre. Il se retrouve à Berlin le 1er août en train d’essayer des LVG pour le compte de l’armée suisse dont il est un des premiers pilotes ; il repart aussitôt « en suisse » aussi discrètement que possible. Il se met en congé en 1915 et décide de s’engager dans l’armée française, après avoir contracté un engagement à la Légion. Il ne peut accéder à un poste en escadrille et se retrouve pilote réceptionnaire et metteur au point… pour ne pas dire pilote d’essai.

Il réceptionnera ainsi plus d’un millier de Caudron G3, G4, Nieuport et autres SPAD jusqu’en 1918, embarquera notamment comme sergent réceptionnaire sur G3 un certain Marcel Bloch et sera le pilote d’essai du biplan Vendôme A3 qui avait la même particularité que le Salmson-Moineau SM1, à savoir deux moteurs rotatifs « transversaux » situés dans le fuselage entraînant par un jeu de tringlerie complexe deux hélices. Décollant lors du premier roulage, il lui fallut vite déchanter, car suite à un déséquilibre en vol le faisant atterrir sur le dos, le second vol faillit lui coûter la vie et le prototype en resta là.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, bénéficiant des surplus de l’armée (3 Sopwith transformés en triplaces, 1 Caudron G3 et 1 Farman F40), il fonda une compagnie aérienne avec Gustave Minier, qui convoya à Spa en novembre 1918 sur son Breguet XIV le commandant allemand Geyer, porteur des conditions d’armistice.

Mais son heure de gloire, il l’obtint en 1921, période durant laquelle, en mal de nouveaux exploits, il avait décidé un an auparavant de s’attaquer au Mont Blanc. Après avoir obtenu du « père Caudron », plutôt incrédule, le prêt d’un G3 modifié, moteur 80 hp remplacé par un 120 hp et, sur les conseils de son ami Vidart, changement de l’hélice pour une Chauvière intégrale à plus grand pas bénéfique en atmosphère à oxygène raréfiée, il réalisa une première tentative vers le Dôme du Goûter (4330 m) en septembre 1920, mais il dut renoncer ne pouvant atteindre les 4000 mètres avec son passager.
La tentative fut réitérée seul, et réussie le 30 juillet 1921 à l’aube, faisant de François Durafour le premier pilote à poser son avion sur un dôme enneigé à plus de 4000 mètres, puis à en redécoller, certes avec quelques frayeurs.

Durant l’Entre-deux-guerres, il cessa de voler quelques années, s’adonnant à des activités automobiles, puis revint à l’aviation en 1934 en achetant un Caudron Phalène F-AMLU. Il habitait Annemasse et avait obtenu la nationalité française entre temps. Avec son Caudron, il donna de très nombreux baptêmes de l’air, mais embarqua également quelques … parachutistes !

Il fut également le principal artisan de la création de l’aérodrome d’Annemasse qui ne vit le jour qu’après guerre, guerre où il s’illustra encore par des actions de résistance franco-suisses. L’après guerre fut plus calme : ce fut le temps des reconnaissances, ses premiers vols … comme passager, invité par Swissair dans des avions transatlantiques et la rencontre lors d’un séjour à New York en 1958 avec un certain Eugène Bullard avec qui il se lia d’amitié.

Vous l’aurez compris, ce récit est passionnant, bien qu’écrit plusieurs dizaines d’années après les événements. François Durafour a su conserver l’enthousiasme farouche et humble propre à son esprit pionnier. Les passages relatant les détails techniques du pilotage, notamment sur les premiers Hanriot, sont à ma connaissance uniques : des modèles du genre. Ses textes vivants sont entrecoupés de nombreux articles et témoignages concernant ses exploits, ce qui amène parfois quelques redondances tout en en attestant l’authentification avec une précision d’horlogerie bien locale.

Jean-Claude Caillez, un grand spécialiste suisse des pionniers de l’aéronautique à Genève comme en atteste son site Pionnair-ge.com, a su non seulement retrouver et publier ce récit, mais l’agrémenter d’une mise en page riche en iconographie originale et en le complétant de parenthèses discrètes mais indispensables à la compréhension du personnage.

Un livre à posséder si vous êtes féru d’aventures pionnières, ou curieux de la façon dont volaient ces quelques merveilleux fous volants sur leurs drôles de coucous … suisses !

Thierry Matra


168 pages, 16,5 x 24 cm, broché

En bref

Éditions Cabédita

ISBN 978-2-88295-627-9

25 €