Guynemer reste l’aviateur emblématique français de la Grande Guerre. Mais sa légende est polluée de nombreux faits imaginaires ou non avérés, répété à l’envi depuis sa disparition et souvent repris par ses différents biographes sans qu’ils soient parfois controversés. Un siècle plus tard, Jean-Marc Binot, déjà auteur d’ouvrages sur les deux guerres mondiales, s’empare du sujet avec un objectif limpide, remettre de l’ordre dans ce que Henry Bordeaux et Jules Roy, en particulier, ont publié. Pour le premier, son livre étant paru dans l’immédiat après-guerre à l’insistance du père du défunt, il avait pour objectif de dresser une statue au jeune héros disparu. Jules Roy, dans les années 80, a travaillé un peu plus près des archives et des derniers témoins, mais semble avoir laissé libre cours à son imagination sur un certain nombre d’anecdotes.
À l’inverse de ses glorieux prédécesseurs, Jean-Marc Binot s’est, lui, appuyé sur une importante documentation puisée aux différentes archives nationales ou locales, mais aussi sur des collections privées d’une richesse étonnante. Il lui est donc devenu possible de retracer la courte vie et la carrière trépidante de l’aviateur d’une façon plus précise et de tordre le cou à nombre de légendes au passage. Un seul exemple, le chapitre 1 s’intitule « Ajourné, pas exempté ». Il était effectivement temps de rétablir ce qui est un peu plus qu’une nuance, dans les faits, sur les conditions d’incorporation du jeune Georges.
D’ailleurs, ce n’est pas tant le pilote de chasse qui intéresse l’auteur, mais le combattant devenu mythe fondateur de l’aéronautique militaire française. L’aspect strictement aéronautique n’est pas particulièrement approfondi, on ne note, par exemple, aucune analyse de son palmarès, mais la personnalité de l’homme, passée au crible, notamment de sa production épistolaire.
Bien évidemment, son dernier vol et sa disparition font l’objet de deux chapitres distincts où les différentes hypothèses sont passées en revue, agrémentés de nombreux témoignages d’époque, parfois contradictoires, qui montrent bien le flou qui entoure cette histoire. Il constate ensuite que le souvenir du héros, si fort après l’armistice de 1918 où les rues et les écoles sont nombreuses à être baptisées de son nom, s’efface doucement, sauvé au sein de son arme par la cérémonie anniversaire du 11 septembre et par les passionnés d’aviation qui ne l’ont pas oublié.
En fin de compte, même si Jean-Marc Binot a remis à sa place un certain nombre de faits, et donc corrigé les erreurs d’Henry Bordeaux ou de Jacques Mortane, ainsi que certains errements littéraires de Jules Roy, la statue du commandeur reste solidement boulonnée à son piédestal !
Voici donc un solide historique qui nous est proposé dont le texte, limpide, s’articule parfaitement. Cependant, cette lecture agréable et érudite est rompue par d’innombrables notes, indispensables pour ce genre d’exercice, renvoyées en fins de chapitres. Il aurait peut-être fallut distinguer les notes bibliographiques des notes explicatives qui, elles, gagnent à être placées en bas de page.
C’est d’ailleurs sur le plan documentaire que cet ouvrage se distingue de ses prédécesseurs. Il est illustré par de très nombreux documents, au fil du texte, souvent rares voire inédits, accompagnés, quand c’est nécessaire, d’indispensables cartes, mais du coup souffrant d’une reproduction moins agréable que sur un cahier photo dédié sur un papier mieux adapté. Les annexes sont aussi foisonnantes, car en plus d’un large index alphabétique des patronymes et des lieux cités, on ne compte pas moins de six pages de sources et quatre de bibliographie. Cette dernière est riche et complète à l’exception de l’oubli inexplicable du livre de Philippe Osché et Bernard Klaeylé Guynemer, les avions d’un as (Lela Presse, 1998), ouvrage fondamental qui aurait sans doute permis à l’auteur une plus grande précision sur les dénominations des appareils.
Quoi qu’il en soit, nous sommes bien en présence d’un document argumenté et il sera donc difficile désormais de produire quoique ce soit sur le jeune aviateur disparu « en plein ciel de gloire » sans faire référence à cette biographie remarquable.
Frédéric Marsaly
396 pages, 15 x 23,5 cm, broché, couverture souple à rabats
0,691 kg
Grand Prix Littéraire de l’Aéro-Club de France 2018