Raconter une guerre qui vient juste de se terminer est toujours un exercice de haute volée un peu périlleux. C’est le cas avec le conflit qui a vu, en 2011, les forces de l’OTAN affronter les troupes fidèles à Kadhafi, jusqu’à ce que le dictateur déchu finisse par périr dans des circonstances assez troubles. Conflit essentiellement aérien en ce qui concerne les forces occidentales, la guerre contre la Libye a permis au Rafale de confirmer sa belle réputation d’avion de combat, déjà établie par de nombreuses missions au-dessus de l’Afghanistan. C’est là un des enseignements majeurs de cet affrontement qui, pendant des semaines, a tenu en haleine les chaînes d’infos en continu.
Pourtant, les informations techniques pertinentes ont été rares à franchir le mur du « confidentiel défense », en tout cas celles susceptible de faire lever un sourcil intéressé à quiconque sait faire la différence entre un Mirage 2000 et un Gripen. Il faut dire que les journalistes généralistes sont souvent égarés dès qu’il faut évoquer les outils qui servent à faire la guerre et de là même, ne peuvent couvrir ce genre d’évènement que du point de vue humain, politique ou géopolitique. Pour autant, l’aspect militaire éclaire d’une manière particulière l’ensemble de ces matières. L’usage de bombes inertes en résine (et non pas en béton) illustre d’une façon saisissante les nouveaux us et coutumes de la guerre moderne, par exemple. L’emploi massif d’armes guidées ou autonomes également, sujets intéressants bien abordés dans ce livre.
Pour évoquer ces sujets « pointus », il faut donc un journaliste spécialisé, ou pour le moins spécialiste de ces sujets. Jean-Marc Tanguy est l’un d’eux. Spécialiste aéronautique et défense, il reconnaît ouvertement dans ce livre avoir bénéficié de sources sûres en interne au sein des forces, ce qui lui permet, non sans mal et non sans désagréments néanmoins, de pouvoir apporter des informations inédites et pertinentes sur certains combats.
Et renseigné, assurément, il l’est. Cependant, si ce livre consacré à l’opération Harmattan comporte son lot de révélations, puisqu’il passe en revue de façon très pointue l’ensemble des moyens engagés, (hommes, machines, armement) et la façon dont ils ont été utilisés au fur et à mesure du conflit, avec leurs haut faits mais aussi leurs échecs, il est loin de tout expliquer, de tout raconter. Afin de bien apprécier le caractère précis de ces informations, il est impératif de ne pas être trop effrayé par les innombrables sigles et acronymes militaires qui parsèment en quantité ces pages, même si ceux-ci sont déchiffrés et expliqués.
Ainsi, nous sont détaillées les opérations menées par l’Armée de l’Air, la Marine, avec en particulier l’aviation navale, mais aussi les navires de surface qui ont, il faut le noter, ouvert le feu avec leurs canons de bord contre des objectifs côtiers, ce qui n’était pas arrivé depuis très longtemps, et bien sûr l’ALAT dont le rôle a été très discret mais ,si on en croit ces pages, particulièrement important. Autour de ce bloc initial, les opérations menées par les forces alliées sont expliquées, mais avec beaucoup moins de détail. Ceux-ci sont principalement statistiques. Pour des raisons faciles à comprendre, on ne trouvera pas de récit détaillé de frappes aériennes, ni d’information précises sur les différents objectifs visés et touchés. En ce qui concerne cette partie, on demeure dans le flou et tout porte à croire que ce flou va perdurer un moment. On pourra regretter aussi l’absence d’un bon chapitre sur le contexte géopolitique de cet engagement et sur les relations tumultueuses entre la France et la Libye depuis une trentaine d’années ; cela n’aurait pas été superflu, surtout avec un auteur qui sait tremper sa plume dans le vitriol quand il le faut.
Il est donc difficile de porter critique à cet ouvrage sur le fond. Entre les contraintes dictées par la confidentialité des sources et le manque de précision des sources publiques, il était sans doute impossible de faire mieux. Sur la forme on notera que cet ouvrage est d’un format assez réduit et ne comporte que 160 pages ; son prix, affiché de 18 €, risque d’en dissuader certains.
Le caractère très frais de l’évènement rend le travail de l’auteur compliqué. Reste qu’il apporte des éléments importants pour ceux qui ont suivi l’affaire ou qui voudraient en savoir plus sur ces faits maintenant que les caméras sont tournées ailleurs.
Frédéric Marsaly
160 pages, 13,5 x 20,5 cm, broché