Après la catastrophe aérienne du vol Rio-Paris (2009), on entendit beaucoup parler de « sondes Pitot ». Par ailleurs, quel maquettiste, même débutant, ne connaît pas ce nom, lui qui a dû plus d’une fois coller sur le fuselage une minuscule pièce portant le nom de « tube de Pitot » ?
Le père de cet indispensable outil de mesure de la vitesse serait-il donc un inventeur éclairé ou un ingénieur du début du XXe siècle s’étant penché sur la question aéronautique ? Que nenni ! Le « tube » est né en 1732, en pleine éclosion du « siècle des Lumières », alors que l’homme n’avait conçu d’autre engin aérien que le cerf-volant.
Voilà qui est peut-être un peu mince pour qu’un livre figure dans l’Aérobibliothèque, mais… il y a un « mais » de taille. On peut être passionné par les « choses qui volent », on n’en est pas nécessairement monomaniaque au point de ne prêter exclusivement attention qu’à l’aéronautique. Or, cet ouvrage apparemment « exotique » dans notre milieu dispose de plusieurs attraits majeurs.
Soyons nets : sur plus de 500 consacrées à Henri Pitot, seules huit pages sont consacrées à son « tube ». Cependant, pour peu que l’on s’intéresse peu ou prou à l’histoire des techniques, on peut se régaler : celui qui fut un cancre avant de devenir académicien s’est montré très fécond. Il n’est pas envisageable de répertorier ici l’ensemble de ses travaux, très variés à ses débuts : études sur les variations de la boussole, la vitesse des vaisseaux en mer, la fabrication des ancres de marine, la construction navale, les causes des marées…
La seconde partie du livre (et la plus volumineuse avec ses 255 pages, soit plus de la moitié de l’ouvrage), nous présente la vie et les travaux de ce familier de Voltaire (et de bien d’autres « lumières ») en tant que directeur des travaux publics du Bas-Languedoc. Il y a laissé une empreinte profonde (ou plutôt une foule d’empreintes) : assèchement de marécages, création de ponts (le doublage du pont du Gard, c’est lui), alimentation en eau de Carcassonne, aqueduc de Montpellier… La dernière partie nous éclaire sur la vie de Pitot en Languedoc, où tout est épluché, de ses options religieuses à sa domesticité, de sa santé à sa descendance.
Un livre volumineux, certes, mais nullement ennuyeux pour peu que l’on manifeste un peu d’intérêt à l’histoire des techniques et à ce fameux « Siècle des Lumières ». En tout cas un ouvrage remarquable à plusieurs titres.
On utilise parfois le vocable de « livre d’ingénieur » pour désigner un ouvrage aride et sans vie, farci d’abaques et de calculs compliqués. Ingénieur génie civil, Louis Gabard l’est assurément ; mais peut-être est-il également « ingénieur histoire » ou « historien de l’ingénierie du XVIIIe siècle ». Son livre est exemplaire en bien des points. L’écriture, tout d’abord, fluide et agréable. La structure de son livre ensuite, et son découpage. Mais aussi le professionnalisme déployé par l’éditeur Decoopman. Toutes les qualités que l’on attendrait d’un ouvrage universitaire sont réunies : notes en bas de page, citations sous formes d’alinéas*, notes bibliographiques en fin de chapitre, tableau synoptique de la chronologie biographique… un modèle du genre ! Nous ne pouvons décerner de « coup de cœur » à un ouvrage aussi peu aéronautique, mais il mérite de toute évidence une distinction. Souhaitons que cette brillante biographie d’Henri Pitot devienne un « livre dans le vent ».
Philippe Ballarini
* alinéa : texte en retrait, dans une taille de caractères plus petite
544 pages, 15,6 cm x 23,4 cm, couverture souple
60 gravures
0,896 kg