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Histoire de l’armée de l’air

Patrick Facon

Est-il encore besoin de présenter Patrick Facon ? Directeur de recherche au SHD Air (ex SHAA), il est devenu depuis une trentaine d’années l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de l’armée de l’Air et l’auteur de nombreux articles et ouvrages. Rappelons également que si son activité professionnelle le conduit à intervenir régulièrement dans le monde universitaire et dans celui des grands instituts de recherche historique, il ne néglige pas pour autant d’apporter sa contribution à la presse spécialisée improprement qualifiée de « grand public », touchant ainsi un lectorat d’amateurs avertis mais souvent éloignés des cercles académiques.
Le caractère bénévole de l’Aérobibliothèque ne nous permet pas toujours de réagir rapidement à la publication de nouveaux ouvrages et celui que nous abordons ici a déjà été favorablement accueilli par ladite presse spécialisée. Toutefois, les aérobibliothécaires ayant comme principe de lire complètement les ouvrages qu’ils présentent — d’où le délai supplémentaire en particulier pour un livre dense de plus de cinq cents pages — on nous permettra de soumettre ici quelques remarques à la réflexion de nos lecteurs.

Il n’est pas inutile en premier lieu de rappeler que cet ouvrage est né du souhait exprimé par le général d’armée aérienne Stéphane Abrial, qui en était alors le chef d’état major, afin de célébrer le soixante-quinzième anniversaire de la création d’une Armée de l’Air indépendante. Dans sa préface, le général Abrial précise que ce livre est destiné à un « vaste public » de militaires de carrière, d’historiens ou d’amateurs passionnés par l’histoire de l’aéronautique militaire française, espérant qu’il soit un successeur à l’ouvrage publié en 1979 sur le même thème sous la direction du général Christienne et auquel participait alors un certain… Patrick Facon. On peut considérer que l’objectif est en grande partie atteint, en offrant au lecteur amateur un point de vue synthétique qui manque souvent à la littérature dite spécialisée, souvent plus attentive à un aspect quantitatif des événements, et même si les spécialistes de l’histoire de cette jeune arme n’y découvriront probablement que peu d’éléments nouveaux, ils trouveront ici une excellent travail de référence une sorte de bilan d’étape.

Toutefois, si la tentative de faire tenir près de cent ans d’une histoire extrêmement riche en moins de six cents pages peut sembler une gageure et qu’elle doit imposer nécessairement des choix, celui fait par l’auteur de retenir « …une trame de fond […] constituée par l’histoire institutionnelle de cette armée… » appelle quelques réserves, tant il donne plus d’une fois l’impression au lecteur d’avoir affaire à une armée en perpétuel projet, mais sans appareils ni personnels !

Ceci est un première fois vrai à propos de l’Aéronautique militaire embryonnaire qui doit faire face au déclenchement de la première guerre mondiale, dont on ne découvre pratiquement rien de l’activité quotidienne pour se préparer aux combats qui s’annoncent. Notons cependant que s’il est difficile de résumer en un seul chapitre ce qu’avait brillamment développé Claude Carlier en 2004 dans son « Sera maître du monde…« , le lecteur trouvera ici un certain nombre de réflexions pertinentes qui complètent l’analyse par ce dernier.

Mais cette impression est encore plus nette à propos des vingt années qui séparent les deux guerres mondiales, et qui voient l’avènement de cette indépendance tant réclamée quand, à coté des conflits se développant au sein des états-majors et de la classe politique et qui ont bien sûr une importance fondamentale, on ne croise pratiquement aucun aviateur ou avion en opération, ni en métropole ni dans les colonies, comme s’ils avaient attendu patiemment dans leur casernes et hangars que leurs chefs se mettent d’accord sur la manière dont ils allaient devoir travailler. De plus, les notions employés finissent par se vider de sens à force de répétition, comme dans le cas symptomatique de « l’aviation de coopération » : on sait ce que pratiquement elle représente dans l’esprit des responsables de l’armée en novembre 1918, mais n’y a t-il aucune réflexion dans les années qui suivent, aucune prise en compte des progrès techniques, des capacités des nouveaux appareils – aussi décevants que puissent être ces progrès ? Les événements de mai-juin 1940 ont donné une image archaïque de la pensée du haut état-major français, mais faut-il généraliser ce point de vue à la génération qui vient de sortir victorieuse de la Grande Guerre, tout en se reconnaissant que d’une certaine manière elle semble « ne pas en revenir d’avoir gagné », figeant ses réflexions futures derrière une assurance de façade ? Sans défendre les tenants d’une aviation au ordres de l’armée, il faudrait certainement mieux tenter de comprendre la position des responsables de cette dernière face à certaines positions irréalistes, basées sur des théories qui attendront encore longtemps d’être techniquement réalisables, comme l’idée de flottes aériennes anéantissant les forces vives de l’adversaire, ou bien face aux imprécations excessives d’un Georges Houard dans les colonnes de la revue « Les Ailes » ?
Mais cette indépendance inéluctable — comment peut-il en être autrement quand on en célèbre l’anniversaire — et les arguments des uns et des autres, l’auteur y croit-il vraiment ? Outre qu’il fustige ces débats qui vont seulement crisper les attitudes des uns et des autres et faire perdre un temps précieux dans la modernisation permanente que doit entreprendre l’arme aérienne, croit-il vraiment à ce scénario tragi-comique mettant en scène bons aviateurs et méchants militaires, on peut légitimement se le demander, tant il semble se réfugier derrière de longues citations ?
Et comment ne pas regarder l’exemple des autres pays industrialisés, certes trop peu nombreux pour qu’on puisse y trouver une réponse statistique, mais parmi lesquels les États-Unis sont certainement en 1939 le pays plus avancé, dont les forces aériennes ne sont encore que partiellement indépendantes mais qui, sans s’embarrasser d’un ministère de l’air, a mis sur pied dès avant la fin de la première guerre mondiale le NACA, reconnaissant à l’aéronautique un caractère incontournable de technologie avancée.
Notons à propos de ce chapitre la regrettable absence de notes dans l’ouvrage. Curieusement, c’est le général Abrial qui en justifie l’absence dans sa préface, craignant de faire fuir le lecteur potentiel ! Ici n’est pas le lieu d’entrer dans le débat très français sur la « note en bas de page » comme signe distinctif de « l’ouvrage savant », mais l’origine des très nombreuses (et longues) citations auxquelles recourt l’auteur aurait été très utile.

L’absence de tout cataclysme majeur ayant touché la métropole depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que la naissance d’une certaine forme d’Histoire aéronautique hors des milieux universitaires ou académiques privilégiant un aspect opérationnel des événements dans les années qui suivirent, ont souvent conduit à négliger cette période pourtant plus longue que le temps écoulé jusque là depuis l’apparition de l’aéronautique pratique, ou du moins à n’en considérer qu’un aspect purement opérationnel et factuel, ce qui rend particulièrement intéressante la lecture de la deuxième partie de l’ouvrage consacrée aux soixante dernières années.

Malgré les balises chronologiques fortes que représentent les guerres coloniales dans lesquelles se trouve engagée l’armée de l’Air, malgré les progrès techniques et les évolutions de la politique étrangère française, il faut reconnaître à son histoire une très forte continuité depuis 1945, continuité que l’on retrouve d’ailleurs dans l’Histoire aéronautique de cette période qui voit les États-unis prendre le leadership intellectuel de l’aéronautique mondiale, marquant dans notre pays une rupture considérable avec une manière de considérer l’aéronautique parfois très éloignée de la réalité… S’il est une constante dans ce que l’on découvre ici, c’est malheureusement l’écart permanent qui va exister entre l’ambition des missions que le pouvoir politique assigne aux forces aériennes et la faiblesse des moyens budgétaires qui leurs sont affectés.

Reconnaissons à l’auteur que dans cette dernière partie, il aborde beaucoup plus fréquemment les questions techniques, au moins en ce qui concerne les matériels, par exemple en évoquant la mise en service du Mirage IVA au sein des forces stratégiques mais aussi la longue saga du(des) remplaçant(s) du couple Mirage IIIC – Mirage IIIE à la fin des années soixante, qui ne trouvera sa conclusion – provisoire ? – qu’avec la mise en service du Rafale dans les années 2000 ! Probablement faut-il voir ici le résultat de nombreux contacts noués par l’auteur au sein de l’institution militaire et qui ont pu le familiariser avec ces sujets.

Un autre point d’essence éminemment technique traité par l’auteur et aux conséquences nombreuses encore aujourd’hui : le constat d’une certaine impuissance opérationnelle révélée par la participation française à la première guerre du Golfe. Les insuffisances mises à jour y sont parfaitement analysées, comme le sont les premières réponses apportées, mais on peut se demander si Patrick Facon n’aurait pas dû interrompre son récit au tournant de l’année 2000 plutôt que risquer de franchir la limite toujours floue entre Histoire et actualité.
En contrepoint de cet épisode, certains des lecteurs pourront trouver matière à réflexion sur le contenu d’une certaine littérature destinée aux passionnés, pleine de belles photographies couchées sur papier glacé…

Au terme de cet article, il nous faut reconnaître l’intérêt incontestable que présente cet ouvrage pour ceux qui s’intéressent à l’Histoire de l’aéronautique dans notre pays, et ce malgré notre réserve quant à l’approche purement institutionnelle retenue par l’auteur. Mais ce choix était-il réellement libre ? Ne cache-t-il pas une fois de plus ce manque d’intérêt pour le fait technique que nous avons déjà signalé à propos d’autres ouvrages dus à la plume d’historiens académiques, tendance qui pourtant nous semblait moins marquée chez l’auteur à travers plusieurs de ses contributions à la presse spécialisée ? En préfaçant la première édition de l’excellent ouvrage de Michel Bénichou consacré à « Un siècle d’aviation française« , il notait qu’une forme mythologique de l’histoire de l’aéronautique avait enfin cédé la place à un intérêt pour son caractère industriel incontournable ; mais cet intérêt ne s’est-il pas lui-même trop souvent cantonné à un aspect institutionnel, comme ce fut probablement le cas dans les travaux par ailleurs remarquables du regretté Emmanuel Chadeau ?

Il ne s’agit pas ici de promouvoir une approche anecdotique et encyclopédique des événements en ramenant les problèmes de l’armée de l’Air à une suite d’explications technologiques, mais de se demander par exemple si plutôt qu’une armée française en retard d’une guerre en 1939, il ne faudrait pas plutôt envisager toute une nation en retard d’une société qui, malgré un nombre croissant d’usines, ne serait pas encore entrée pleinement dans l’âge industriel et dans laquelle ce « fait technique » n’aurait pas encore pénétré au plus profond du corps social — et donc militaire — comme il l’avait déjà fait dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne ? De ce point de vue, l’institution militaire française n’aurait fait que reproduire le retard pris par un pays dont la population urbaine vient juste de dépasser celle de ses campagnes, amplifiant le phénomène par une certaine rigidité traditionnelle… Un autre des intérêts qu’il y aurait à prendre bien plus en compte ce fait technique, serait de s’engager sur le terrain presque vierge de l’histoire de la formation des équipages et des personnels techniques, ébauché en son temps par l’équipe du général Christienne, n’y avait-il rien à dire de plus ? Souhaitons que de jeunes générations d’historiens s’engagent dans cette voie.

Pierre-François Mary


560 pages, 16 x 24 cm, couverture souple

En bref

La Documentation Française

ISBN 978-2-11-007651-9

28 €