À la suite d’un premier ouvrage consacré au Pays Basque, Bernard Vivier remonte à présent le cours de l’Adour en se penchant sur le passé aéronautique de la région baignée par le fleuve et ses affluents, sorte de « Grand Béarn » allant de Tarbes à Dax. Si cette région située entre Pyrénées et forêt landaise est parfaitement artificielle en termes historique et administratif, l’auteur nous montre que son choix est parfaitement pertinent en ce qui concerne le développement de l’aviation, en particulier pour la période allant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, prouvant s’il en était encore besoin que la géographie aéronautique locale a bien du mal à s’accorder avec les frontières traditionnelles.
Le lecteur familier avec les débuts de l’aviation ne sera pas surpris de voir l’ouvrage s’ouvrir sur les premiers vols de Wilbur Wright à Pau, au tout début de 1909. Si le pilote américain se laisse convaincre de venir profiter d’un climat hivernal particulièrement clément, c’est qu’il s’est développé depuis le milieu du siècle précédent dans la capitale béarnaise une brillante société mondaine qui suit avec intérêt ce qui n’est alors pratiquement qu’un phénomène exclusivement parisien, laquelle réussit à convaincre la municipalité « d’investir » dans ce nouveau mode de locomotion pour créer un des premiers aérodromes de France. Cette expérience est finalement de courte durée, mais elle suffit pour attirer à son tour d’autres constructeurs en tête desquels on trouve Louis Blériot, suivi rapidement par l’Armée elle-même, tous attirés par les conditions météorologiques favorables, bien que la présence de la chaîne montagneuse limite ultérieurement les possibilités de navigation à la moitié de l’horizon !
Si en août 1914 l’entrée en guerre voit la disparition des écoles civiles, elles seront d’une certaine manière à l’origine de l’un des plus importants centres-écoles de l’Aéronautique militaire, créé à partir de l’année suivante, lorsque l’enlisement des combats fait perdre l’espoir que la guerre soit courte et pour laquelle il va donc falloir former un grand nombre de pilote. Le format de l’ouvrage ne permet pas à l’auteur de développer son récit, mais on y trouvera une excellente évocation de cette époque de pionniers, dans un style agréable – ce qui n’est pas si fréquent dans ce domaine de l’Histoire locale, même si on aurait aimé y voir l’histoire des écoles de pilotage davantage développée, tant elle a été occulté pendant des décennies par l’hégémonie un peu simplistes des « As ». Le lecteur qui voudra approfondir ses connaissances pourra se plonger dans les nombreux ouvrages publiés récemment, dont ceux de l’association Pau Wright Aviation créée en 2006, ainsi dans le très beau site Internet consacré à la Grande Guerre par Albin Denis, un habitué des Aéroforums.
Complétant une première partie chronologique, le deuxième chapitre nous emmène jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, confirmant la place de capitale aéronautique régionale prise par la ville de Pau : si l’implantation des bases militaires suit alors déjà un schéma national, les nouvelles plates-formes qui apparaissent au cours de l’entre-deux-guerres ont souvent été reconnues depuis plusieurs années par les élèves palois, qu’ils soient militaires ou civils. Qui plus est, l’Aéro-club du Béarn jouera son rôle d’aîné lorsque y seront créées de nouvelles associations locales, à Tarbes ou Mont-de-Marsan par exemple, signes d’un véritable « régionalisme aérien ». Rappelons à cette occasion la publication en 2009 par le même éditeur Atlantica d’un magnifique petit ouvrage consacré aux femmes pilotes qui fréquentèrent ce dernier aérodrome : Le ciel est à elles.
Abandonnant ensuite le fil chronologique, l’auteur remonte quelques années en arrière pour s’intéresser aux entreprises aéronautiques de la région, que l’on découvre particulièrement nombreuses même si les décentralisations décidées à l’approche de la guerre à la fin des années trente – ou bien dans l’urgence après le début des hostilités – permettent d’expliquer une partie de ces installations. On trouvera peut-être ici la partie la plus originale de l’ouvrage, avec bien sûr l’évocation de grandes sociétés telles que Turboméca ou Morane, mais aussi d’industriels moins connus comme Messier et Les Constructions Aéronautiques du Béarn produisant les Minicab du célèbre ingénieur Yves Gardan, sans oublier les brefs passages de Potez ou Breguet sur le terrain d’Aire-sur-l’Adour.
Cependant, on peut se demander si l’auteur n’est pas tombé ici dans les quelques pièges qui caractérisent malheureusement l’histoire locale aéronautique – dans notre pays au moins, en particulier à propos de Turboméca : après une excellente évocation des débuts héroïques de cette entreprise, l’ouvrage se transforme progressivement en une sorte de catalogue, plus proche de ces brochures luxueusement illustrées que les industriels distribuent à leur invités, perdant de vue l’aspect industriel et local du sujet. On peut se demander si cette « dérive » – dont Bernard Vivier est loin d’être la seule victime – ne tient pas en grande partie dans la difficulté qu’il y a encore aujourd’hui à identifier clairement le public auquel on souhaite s’adresser. Il est vrai que pendant longtemps, face à une certaine indifférence affichée par les milieux passionnés traditionnels – matérialisée par celle des magazines spécialisés, la tentation était logique de se tourner vers une clientèle locale; mais celle-ci ne risque-t-elle pas d’être rebutée par ce genre de catalogue, comme d’ailleurs par une approche très « spotter » de l’activité de la base aérienne de Mont-de-Marsan, comme on le verra plus loin ?
Deux derniers chapitres complètent la couverture chronologique l’ouvrage depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’un consacré au développement des aérodromes civils de la région, l’autre à l’activité des installations militaires de Pau, Mont de Marsan et Dax. Malgré l’importance de ces soixante années, on sent l’auteur moins inspiré par son sujet que dans la première partie de l’ouvrage. L’aviation civile y est traitée assez rapidement de manière assez confuse, en abusant un peu trop des données chiffrées, et surtout en oubliant presque complètement les aéro-clubs. Quant aux diverses installations militaires de la région, si la partie consacrée à la présence de l’ALAT sur le terrain de Dax est bien développée, la présence de l’armée de l’Air à Pau est bien trop rapidement traitée, comme l’est aussi l’histoire de la base de Mont-de-Marsan, à mi-chemin entre une plaquette publiée par un service de communication et un article plein de chiffres dans la plus grande tradition des revues de passionnés…
Si nous ajoutons qu’à notre avis, les illustrations auraient certainement pu être moins nombreuses mais de plus grande taille, le lecteur risque de nous trouver bien sévère, alors que malgré nos réserves, l’ouvrage de Bernard Vivier demeure un apport extrêmement intéressant à la constitution d’une « carte archéologique » de la France aéronautique, pour reprendre le titre d’une collection consacrée à un tout autre sujet. Espérons que cette bonne première approche du sujet conduira d’autres auteurs à approfondir certains thèmes restés ici dans la pénombre, à moins que Bernard Vivier lui-même ne nous livre à l’avenir une nouvelle mouture plus développée de son livre qui fasse le pari de s’adresser à un public plus exigeant.
Pierre-François Mary
192 pages, 24 x 28 cm, couverture rigide