Vous êtes ici : Essais et ouvrages thématiques   

Imaginaires nucléaires

Représentations de l’arme nucléaire dans l’art et la culture
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Céline Jurgensen

Étonnant ouvrage que cet Imaginaires Nucléaires. Étonnant par son sujet. Étonnant aussi par la manière dont celui-ci est traité. Ainsi que c’est précisé dans le sous-titre et la quatrième de couverture, « ce livre s’intéresse aux représentations de l’arme nucléaire dans l’art et la culture, et à la manière dont elles façonnent nos perceptions et notre imaginaire collectif. »

Et dans ce registre, on peut considérer que ce volumineux ouvrage tend à l’exhaustivité. Œuvre collective, Imaginaires Nucléaires est rédigé par trente-sept auteurs très divers, sous la direction de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, philosophe, directeur de l’INSERM(1) qui enseigne à Science Po et de Céline Jurgensen, diplomate enseignant à l’ENS (2) de la rue d’Ulm.

Le 6 août 1945, la bombe atomique « Little Boy » était larguée par le bombardier B-29 « Enola Gay » au-dessus de la ville japonaise d’Hiroshima. Outre le fait que la ville fut rasée et irradiée, et le nombre stupéfiant de victimes à court et à long terme, cet événement eut un retentissement planétaire et durable. Pour reprendre l’expression consacrée, il y eut un avant et un après Hiroshima. Si le fait nucléaire modifia de façon radicale la pensée militaire, il eut un impact en profondeur sur l’humanité et sa conception de la vie sur Terre. On se souviendra de la vogue du nucléaire des années cinquante, où pour être moderne, il fallait être atomique, depuis l’automobile à l’irradiation volontaire de légumes à des fins de conservation.
Toutes les facettes des représentations de ce fait nucléaire sont décrites en neuf parties :
Penser : chapitre contient, entre autres, un « essai de philosophie de l’imaginaire à l’ère nucléaire » ;
Lire : Le nucléaire et ses conséquences potentielles font l’objet d’une littérature fort abondante : la bande dessinée occupe une place non négligeable dans ce chapitre :
Regarder : l’apocalypse nucléaire et ses conséquences, qu’elles soient plausibles ou fantaisistes, offrent un support de choix dans le cinéma et les séries télévisées ;
Montrer : autour des photographies du champignon nucléaire, mais aussi des étonnants clichés d’Ewan Lebourdais sur les « bateaux noirs » ;
Écouter ; sur la bande FM, les « tubes » de la crise des missiles ;
Bâtir : l’urbanismeface à la menace nucléaire, les bunkers antiatomiques
Jouer : la bombe et le post-apocalyptique dans le jeu vidéo ;
Promouvoir : la propagande dans différents états de l’URSS à la Corée du Nord en passant par les USA, la Chine, la France, l’Inde et l’Iran ;
Contester : l’antinucléaire fut un terreau fertile pour quantités d’artistes de par le monde dont le dessinateur Plantu, suivi d’une volumineuse étude « entre fascination et dénonciation : les mangas et le nucléaire »
L’ouvrage se clôt avec une nécessaire présentation des trente-sept auteurs, suivie d’une bibliographie sur neuf pages.

On comprendra que si cet ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité (cela existe-t-il ?), il s’en faut d’un cheveu qu’il le soit. Étonnamment complet, il fait penser à un ouvrage universitaire (si ce n’était le fait que nous avons échappé à la détestable coutume des notes en fin d’ouvrage et d’un vocabulaire souvent abscons). Avec un index onomastique (qui, avouons-le, eût été difficile à mettre en place), ce livre aurait été un précieux ouvrage de référence. Précieux, ce livre l’est néanmoins par l’inimaginable volume d’informations et de points de réflexion qu’il contient, de même que l’extrême variété de son contenu : affiches soviétiques, photographies de champignon atomiques, couvertures de « comics » et de mangas, caricatures, affiches et extraits de films…
L’analyse (freudienne) de Dr Strangelove (Docteur Folamour) côtoie la chanteuse Nena et son groupe, une étude sur le nucléaire iranien, des dessins et un texte de Plantu, les armes nucléaires dans les séries américaines, le prêt de la Joconde aux États-Unis…

Un ouvrage de poids (1,130 kg, 374 kg) tout à fait dans la ligne éditoriale des éditions Odile Jacob, essentiellement tourné vers le domaine scientifique et sa vulgarisation, un livre remarquable qui a sa place dans la bibliothèque de qui s’intéresse peu ou prou à la « chose » nucléaire.

Philippe Ballarini


384 pages, 19 x 25 cm, couverture souple
1.13 kg


(1) Institut national de la santé et de la recherche médicale

(2) École Normale Supérieure

En bref

Odile Jacob

ISBN 978-2-738-15504-7

35 €