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Ingénieur
Fier de l’être

Jean-François Georges

Jean-François Georges se considère lui-même comme une espèce en voie de disparition.
Diplômé de Sup’Aéro (1) en 1964, c’est dans une unique entreprise qu’il a mené l’intégralité de sa carrière. C’est en effet chez Dassault qu’il a débuté comme ingénieur d’essai, puis qu’il a occupé différents postes qui l’ont mené à terme vers la direction du secteur des avions civils de cette société. Il n’est pas dit qu’avec la faible espérance de vie qu’ont désormais les entreprises, et dans un monde où la mobilité des emplois est devenue plus générale, de tels parcours soient encore possibles. À sa retraite, en 2003, J.F. Georges a ensuite assuré la présidence de l’Aéro-Club de France pendant huit ans.

L’avantage d’être resté quarante ans chez le célèbre avionneur français, c’est qu’il peut nous raconter les à-côtés de plusieurs grands programmes, et c’est passionnant. Nous découvrons ainsi les coulisses des aventures de l’Hirondelle, du Mercure et de son potentiel successeur ASMR (2), les malheurs des véhicules de rentrée spatiale Hermès et Maya, les particularités d’un Mystère 20 transformé en « avion à caractéristique variable » tel un caméléon technique avec ses dispositifs appelés « travelons », la préhistoire du « head-up display » (3) avec les études « PERSEPOLIS » et même, une vraie nouveauté pour ma part, des expérimentations de sièges éjectables aux Ponts de la Caille, en Haute-Savoie.

Nous apprécions de plus le grand sens de l’humour de l’auteur, omniprésent dans ces petits récits où ses condisciples jouent parfois aux apprentis-sorciers, mais aussi dans d’autres anecdotes (Ah, la rencontre avec Marcel Dassault, lui-même ingénieur Sup’Aéro, ou Joseph Szydlowski (4) appelé en interne « Jojo la turbine » …) ou dans sa vision des experts médiatiques autoproclamés (5).

Au chapitre de l’autodérision, la plupart des lecteurs ingénieurs qui ont connu cela apprécieront le récit des années à l’école, ou comment réussir à glisser un peu de formation dans un programme très chargé (rugby, apprentissage du pilotage, ciné-club (6), théâtre, musique, découvertes amoureuses, etc.). Le lecteur, de manière générale, sourira en lisant que cet ouvrage émane « du cerveau d’un ingénieur vieillissant, et que c’est donc à lire avec des pincettes. »

À noter qu’une bonne trentaine de photos, en noir & blanc et en couleurs, et schémas sont présentés dans un livret central.

Et la fierté de l’ingénieur, dans tout cela ?
Le titre est en fait tiré d’une phrase de la page 12, parlant de la disponibilité, en temps et en liberté de parole, que lui apportait la retraite : « Ingénieur et fier de l’être, désormais sans contrainte, je vais donc laisser libre cours à quelques divagations ».
Ses divagations, on les apprécie quand il s’agit de défendre le système français des grandes écoles, tellement décrié…par ceux qui n’ont jamais réussi à y entrer. Ou quand il faut justifier l’utilité des ingénieurs dans une société désormais plus tournée vers les rendements financiers que vers la découverte d’ingénieuses solutions techniques. Et, de plus en plus, quand le technicien de haut niveau doit se doubler d’un pédagogue pour justifier non seulement la technique elle-même, mais ses moindres conséquences environnementales.

La seule étrangeté que l’on peut ressentir à cette lecture, c’est une impression de dilution de la chronologie dans les premiers chapitres. On comprend que l’auteur :
– est accueilli dans son école en 1961 (page 17) ;
– appartient à la promo 1964 (p24). C’est effectivement l’année où il en sort (p 26) ;
– est candidat en parallèle comme pilote élémentaire de réserve, rêvant de straffing (7) en Algérie, où la guerre n’est pas terminée (p25) ;
– vit les Accords d’Evian (1962) comme la fin du rêve précédent (p26) ;
– proteste en mai 68 contre la décentralisation de Sup’Aéro à Toulouse.
Cela donne un petit effet « Forrest Gump ».

Les pilotes d’essai, avec qui il a beaucoup travaillé, ne sont pas oubliés et Jean-François Georges sait les mettre en valeur, dans le texte ou dans l’iconographie. Cet ouvrage peut donc intéresser tous ceux qui aiment l’aviation, ses techniques et son histoire. Il n’est ainsi pas réservé aux ingénieurs. Mais je sais qu’il sera particulièrement apprécié par ces derniers.

Jean-Noël Violette

Notes :
(1) Sup’Aéro : L’École Nationale Supérieure de l’Aéronautique et de l’Espace (telle que l’a connue l’auteur à Paris au début des années 60) a déménagé en 1969 à Toulouse. En 2007, elle a été regroupée avec l’ENSICA, autre école d’ingénieurs aéronautiques toulousaine, pour former l’ISAE-Supaéro, Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace.

Ajout personnel : dans un club que je connais bien, qui faisait de la formation au pilotage pour les élèves de l’ENSAE, ces élèves étaient appelés de manière générique «  les Sup’Aéro ». Puis un jour, suite à une erreur de prononciation, ils sont devenus les « Super-héros »…

(2) ASMR : Advanced Short-Medium Range, appareil de technologie avancée à court-moyen rayon d’action.

(3) Head-Up Display : collimateur tête haute

(4) Patron de Turboméca

(5) « Et au fait, comment devient-on un expert ? Faute d’une École nationale supérieure de l’expertise, les candidats n’ont qu’un recours, l’autoproclamation. La confrérie des experts autoproclamés prolifère d’ailleurs à grande vitesse pour répondre aux attentes d’un large public en quête de vérité […] »

(6) On apprend au passage que le cinéaste Jean Renoir fut photographe dans une escadrille de reconnaissance pendant la Première Guerre mondiale.

(7) Straffing, passe de mitraillage en avion.


Broché, 108 pages, couverture souple
0,230 kg
16×24,5 cm

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Éditions JPO

ISBN 9-782-37301-143-3

24,35 €